LP Review : Sapin – Smell Of A Prick (Garage Country Pop)

Sapin. Un jour, un grand homme a dit : “Je veux bien me déguiser en sapin de Noël pour les fêtes, si on me promet de faire très très très attention quand on enlèvera les boules“. Moralité ? Le sapin se déshabille avec délicatesse. Moralité ? Il faut ne pas trop le charger, sans quoi ses branches tomberont, les boules de noël avec. Et c’est précisément ce que le groupe français qui fait l’objet de ces quelques lignes a appliqué à la lettre : ne pas pourrir son rock’n’roll de trop d’effets, le laisser aussi brut que possible, parce que ça sent meilleur.
Avec Smell Of A Prick (via Beast Records et Howlin Banana Records, common!), Sapin ose l’album concept : raconter les aventures d’un cowboy que l’on nommera Johnny (au hasard). Et ce Smell Of A Farm Boy réussi ce qu’il entreprend de faire : rassembler autour d’une culture que l’on ne connaît que (trop mal) par la télévision. Et ce n’était pas évident. Sapin matérialise ici l’idée que l’on se fait de la Sun Belt, rendant un peu plus réelle et surtout plus complète notre vision de cette vieille époque. Peu d’albums y parviennent finalement, lorsque 90% se contentent de surfer sur style sans aller plus loin que reprendre tous les codes nécessaires à un petit succès d’audience. Sapin n’est pas tombé dans cette facilité, son album ne ressemble finalement à aucun autre et on se dit qu’il faudra le compter parmi les toutes meilleures sorties françaises. 



(Rodolphe Levilain)

No Secret” est une bonne introduction sur fond de garage pop. On remarque déjà la voix de Pierre, délivrée à la façon des bons titres de power pop. C’est d’ailleurs une constance qui revient de nombreuses fois dans cet LP qui, sans aller jusqu’aux Rubinoos, ne se gêne pas pour nous faire une mini Elvis Costello. Vient alors “Stories“, l’histoire d’un Texan qui décide de s’en aller sauver sa dulcinée. Le cheval boîte dès les premiers 10 mètres, mais qu’importe après tout, Sapin est déjà armé de ses plus belles mélodies pour affronter le grand Far West. Et puis, la production est remarquable, nos cœurs de belle princesse sont déjà conquis.
Mr Pleasant“, je le dis sans hésitation, sera l’un des grands hits de l’année 2016. Ce morceau intègre la catégorie de ces morceaux dont on ne décolle jamais, en compagnie de “Just To Put Me Down“, “I Can Cry Too” ou encore “Broken Arms“, pour ne citer que ceux de 2015. Promis, je tente le slow romantique avec mon sapin l’hiver prochain, ne serait-ce que pour fêter l’invention de la Country Power Pop. Reprendre des éléments de jangle pop pour les frotter à l’univers de Bonnie and Clyde, c’est une idée rien de moins que magistrale.
Good Old Days” est a priori moins tranchant, mais il se transforme en une sorte de danse folklorique sur laquelle on se remue toute la nuit durant. Je crois savoir que ce titre emporte la préférence de plusieurs auditeurs, et pour cause, il est aussi inattendu qu’il est charmeur. “Not Far Away“, pour la suite, enchaîne avec des réverbs délicatement posées sur la pop du groupe. Et puis, il y avait le “Good News” de Sam Cooke, il y aura désormais le “Bad News” de Sapin. Le vieux cowboy commence à fatiguer, la route est longue et caillouteuse, mais il faut ce qu’il faut pour aller piller une banque (le titre parle de ça, si si).
Et là, bim bam boum, arrive “Hipster Johnny“, l’une des grandes réussites de l’album. Sapin refait le pari de nous raconter une petite comptine qui finira dans un bain de sang. Les hipsters fifties, ceux “d’une certaine Amérique, émergente et itinérante, qui glande, fait de l’auto-stop, se déplaçant partout, et possédant une véritable force spirituelle“, ont ici troqué la moto pour le cheval. L’aventure continue. Voilà que vient le moment difficile, celui où, toute tremblante dans nos bras, Princesse Peach se laisse aller à quelques pleurs. “See U Cry” est nécessairement plus nerveux, du rock pour les émotifs.



(Lou L’enfer)

I’m Alive” reprend la structure d’un vieux morceau de country que Sapin aura passé au mixeur 2.0. Sans oublier d’y injecter un peu de pop, comme le faisait également Buddy Holly, il crée ici l’un des hits de cet LP. “I’m Alive” est le genre d’hymne que les groupes de rock’n’roll cherchent toujours de créer, le style de morceau unificateur, pour la paix des Etats du Nord avec ceux du Sud. Ah, si seulement, Sapin avait sorti son titre quelques centaines d’années plus tôt, ça nous aurait évité quelques guerres américaines. Quel égoïsme !
Le Smell Of The Sun Belt se poursuit avec “For My Girl” qui encapsule tout le spirit de cet album, dressant le portrait d’un cowboy prêt à défendre sa belle, une guitare à la main. Les coups de feu retentissent sur la fin, mais nous décidons de ne pas en tenir à Johnny, il fallait bien prendre les devants. La cavale n’est pas finie et “Whiner” annonce la couleur : on finira cet album sur les 4 fers d’un cheval que l’on nommera Jolly Jumper (vraiment au hasard, cette fois-ci). 
I Wanna Die” fête la victoire, tout le village exulte et on se dit qu’arriver à nous fourguer autant d’intru’ sans perdre en efficacité, c’est quand même très fort. J’en profite pour tirer un nouveau coup de chapeau (à melon) à Arthur Paichereau pour la production de cet album. On reprend une dernière fois de l’alcool de sapin (ça ne s’invente pas), on danse en se tenant les bras et on se dit que le groupe a encore fait très fort. Merde à la fin, cela fait 8 mois que les invités de Still in Rock critiquent Bret Easton Ellis pour avoir dit qu’il fallait écouter de la country pour trouver de bonnes chansons, et Sapin prouve qu’il a (en partie) raison. 



Au final, Smell Of A Prick est un excellent album, à mon sens l’une des toutes meilleures sorties du grand Howlin Banana, et ce pour plusieurs raisons. La première, sa cohérence et sa capacité à nous (en)traîner avec lui dans la poussière du Far West, version 2016. La seconde, ses nombreux hits, chacun morceau semblant se suffire à lui-même en ce sens qu’ils racontent tous une histoire, une petite romance de 3 ou 4 minutes. La troisième, parce que Sapin innove. 
Voilà en effet ce que l’on ne pourra pas reprocher à Sapin : imiter. Il est bien plus difficile de créer un univers autour d’un groupe sans surfer sur ce qui se fait sur la scène. Adieu sixties, adieu Jay Retard et Ty Segall, vous n’avez pas votre place ici. Il faudra à l’inverse dire à Clint Eastwood qu’un groupe français vient de composer une partie de la bande-son de Unforgiven II. D’ici là, le groupe sera à l’espace B le 11 juin prochain. Pour avoir déjà vécu l’expérience Sapin en live, un p’tit conseil les amis, ramenez-vous avec vos tronçonneuses, parce que ça va défourailler (je n’allais quand même pas finir avec une blague sur la déforestation…)

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