Album Review : Deerhunter – Monomania (Nocturne Garage Rock)



Album Review : Deerhunter 


Monomania



Deerhunter. Il y a certains livres dont la lecture nécessite de s’y consacrer entièrement, jour et nuit, d’accepter l’idée d’y abandonner l’intégralité de ses envies. Il y a certains albums du même genre dont l’écoute doit se faire telle l’entrée dans une église, humblement. Monomania est une création de ce type-là. Il n’est pas nouveau que Deerhunter sache produire des opus grandioses, de ceux qui nous emportent et transcendent quelques instants de nos vies. Monomania est toutefois la création la plus aboutie du groupe, on y découvre que les concepts d’art et de constance peuvent être meilleurs amis.
Monomania est sans conteste l’opus le plus complexe de ces derniers mois. Deerhunter nous fait prendre les grandes routes américaines en plein centre-ville, il donne à ressentir l’humidité d’un orage lors d’une journée de plein soleil. On échoue avec Bradford Cox (leader et chanteur) dans la pleine déprime d’une journée de printemps, dans l’exubérance d’une musique subtile. On y trouve le it ultime et on parvient souvent à capturer une sensation d’invincibilité, l’antinomie d’une vie éphémère. Le son de la guitare est parfaitement saturé et la production mid-fi est celle que cet album requerrait. La voix de Bradford Cox, enregistrée séparément, est quant à elle magnifiquement posée sur une musique de très grande qualité. Cette superposition donne à Monomania une allure que seuls les albums travaillés à la perfection peuvent avoir. Combien de centaines d’heures passées en studio ? C’est un travail incommensurable qui nous permet aujourd’hui de nous évader, voyager au-delà du réel. La poésie de Deerhunter s’en trouve encore plus sublimée, une mise en valeur qui n’a pas rencontrée d’égal depuis bien longtemps.
Monomania débute en plein milieu d’une nuit à Atlanta très agitée. Le réveil se fait difficile avec un “The Missing” nostalgique et porteur d’espoirs. On passe ensuite la journée à voguer dans les rues d’Atlanta, à la façon des Beat qu’étaient Kerouac, Ginsberg et Burroughs, frôlant la poésie de Faulkner dans un monde où la sensation est reine. Ce qui fait de cet opus un chef d’oeuvre est son excellence dans tous les registres : une musique riche, variée et à chaque fois surprenante, une signature vocale dont on ne peut plus se passer, un agencement des titres absolument parfait faisant de Monomania une oeuvre d’art inimitable, enfin, une mysticité que Bradford Cox entretien mieux que quiconque. Alors, quels sont les titres qui doivent entrer au panthéon du sublime ? Réponse dans la critique détaillée, sur fond d’escapade romancée.

  • Neon Junkyard : Une entrée en matière qui taille dans le vif : Deerhunter met les pleins turbo et nous en jette plein la vue. Inutile de dire que plusieurs écoutes s’avèrent nécessaires afin d’apprécier pleinement la richesse de “Neon Junkyard“. Une marche vers les sombres quartiers d’Atlanta est ici amorcée. Le final est le symbole d’une campagne qui ne saurait que commencer. Il y a tant à découvrir.
  • Leather Jacket II : “Leather Jacket II” ne fait pas plus dans la dentelle, accélérant encore le rythme. Les sons nous assaillent de toutes parts. En plein dans le tumulte d’une nuit d’encre trépidante, Deerhunter délivre ici l’un de ses morceaux les plus noisy, du Bradford Cox tout craché. Difficile de décrire l’explosion sonore qu’est “Leather Jacket II“. Passant des plus sombres recoins du cerveau de Bradford à une vue lointaine et plongeante sur son visage. Très expérimental, ce morceau n’en demeure pas moins ce qui se fait de mieux en matière de garage rock psyché, un cocktail rare, explosif, offensif. De quoi effrayer les plus frileux.
  • The Missing : “The Missing” est un morceau de pop à la structure très classique. Le contraste créé avec les deux premiers titres est magnifique. La nostalgie de ces quelques minutes n’a d’égale que la puissance des deux créations précédentes. Ce titre est assurément plus proche de l’univers de Lotus Plaza, dont je rappelle ici que Lockett Pundt, membre de Deerhunter, est le leader.
  • Pensacola : Il est certain que les premières minutes surprennent. Très fourni, “Pensacola” est plus pop encore que ces prédécesseurs, une entrée plénière dans l’univers travaillé de Deerhunter. Bradford Cox semble y découvrir la ville qui l’entour, marchant de rue en rue sans réel objectif sinon celui d’observer l’agitation autour de lui. “Let’s Go“.
  • Dream Captain : Dans un registre similaire à celui de “Pensacola“, “Dream Captain” renoue doucement avec les deux premières pièces de l’opus. La journée est encore longue, Deerhunter est plein d’espoir et sa musique s’en ressent. On se dirige là où ça sent bon les arbres, là où le rire des gens se fait entendre au détour des rues pavées. On rêve éveillé.
  • Blue Agent : “Blue Agent” est de ces titres qui permettent de comprendre l’étendue du talent de Deerhunter. Une douce mélodie accompagne des moments plus noirs, une voix péniblement enterrée et une guitare quasi-Nirvanai-ish. Ce titre est un des grands moments de l’année. Que faire à l’attaque de la troisième minute sinon remercier ses parents d’être sur terre et pouvoir écouter cette musique ?
  • T.H.M. : Le rythme le plus irrésistible de l’opus, comme de l’une de ces derniers mois. “T.H.M.” est d’ores et déjà inscrit au panthéon du genre, un morceau si juste que l’on en perd son sens de l’orientation. Nul besoin de savoir où aller, Deerhunter est là pour nous guider, et il le fait mieux que quiconque. Sa voix, dédoublée et terriblement bien travaillée, envahit rapidement notre esprit. Entre amertume et ensoleillement, “T.H.M.” est la scène de paroles saillantes. L’essoufflement final en est le point de mire.
  • Sleepwalking : Une fois encore, le refrain est une pièce maîtresse où Deerhunter semble s’y brûler les ailes. “Sleepwalking” s’affranchit de toute distance entre le groupe et son auditeur, on est ici plongé en plein coeur d’une impétueuse déclaration. Traversant parcs et rues abondantes, ce refrain est une autre manifestation d’une envie de s’y consumer les pupilles, éblouie par sa justesse.
  • Back to the Middle : Encore un très grand moment en perspective. Parce que Deerhunter est un groupe qui brouille constamment les pistes, c’est cette fois-ci la guitare des couplets qui donne une irrésistible envie d’accompagner Bradford à travers les rues bosniennes qui commence à sentir l’humidité d’un soleil tombant.
  • Monomania : Un univers plus noisy et plus proche des premiers titres de l’album. Retour de la voix en background, fondue dans une tourmente dont on ne voudrait sortir. Deerhunter passe en force, Bradford impose une voix puissante. “Monomania” fait dicte son style, sa fougue et sa guitare grungy.
  • Nitebike : Il en fallait bien une, la balade qui devait donner à cet opus toute la panoplie du très grand album. La voilà, et elle est splendide. Deerhunter joue avec nos nerfs, fait monter le plaisir avant de relâcher sa prise. C’est la voix tremblante que Bradford continue son voyage, la pénombre ambiante donnant à “Nitebike” une force émouvante absolument grandiose.
  • Punk (La Vie Antérieure) : Il ne fallait pas s’attendre à un final de moindre qualité. “Punk (La Vie Antérieure)” est un morceau fourni où l’explosion Deerhunter est totale, partielle, insaisissable. Nuit et jour se mélangent pour faire apparaître un espace-temps sans propriété, une bulle où l’on aimerait voguer à jamais.
L’opus ne souffre d’absolulement aucun reproche. Lorsque le génie est là, un terme à utiliser avec précaution, on se trouve emporté par chaque instant, amoureux d’une musique que l’on jure ne jamais abandonner. Ces deux premiers titres qui prennent aux tripes et la pression qui redescend inévitablement à l’arrivée de “The Missing” sont le premier coup de maître de l’opus. L’alliance de “Blue Agent” et “T.H.M.” fait de Monomania une création de tout premier plan. Il ne fallait pas compter sur Deerhunter pour baisser en intensité, la variation des dernières créations est magistrale. Très expérimental, Monomania présente de superbes pièces de garage rock psyché, un cocktail rare, explosif, offensif.
Le dernier album studio de Deerhunter remonte à 2010. Nommé Halcyon Digest, on y découvrait plus que jamais toute la sensibilité dont est capable cette formation. Plusieurs titres y étaient exceptionnels, tel que le relève l’article de mars dernier sur la carrière du groupe. Monomania est autre, il nous fait accéder à ce que l’on prétend tous, l’absoluité de quelques instants dont la quintessence déteindra sur notre appréciation de la musique. L’impossibilité de cet opus n’est plus.



Note : 9,5 / 10 (barème)


(mp3) Deerhunter – T.H.M. 


Infos : sortie le 7 mai sur le label 4AD

4 Comments

  • Anonyme

    Très bon album effectivement. Pour ma part, peut-être en-dessous de Halcyon Digest, mais le duo T.H.M/Spleepwalking est absolument fantastique

  • Anonyme

    Très très bon.

  • Unknown

    Pour moi, le meilleur album de 2013.

    Bon ok, nous ne sommes qu'en Avril.

    Je ne saurais dire si je le trouve meilleur que Halcyon Digest, mais le morceau Pensacola m'a vraiment tapé dans l'oreille.

  • Anonyme

    Ils sont d'Atlanta… pas de Boston…
    L'album est aussi sublime qu'Halcyon Digest,
    ils seront à Paris le 22 mai, ahahahahahahahahahaha

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