Vous le savez, la scène slacker a fait mon obsession des années 2010s (tous mes articles dédiés sont regroupés ici). Cela fait plusieurs mois toutefois que je la dis mourante. Je voulais m’expliquer. Voici donc le récit de cette drôle de passion, histoire de boucler la boucle une IPA à la main, avec vue sur le dortoir des filles.
Le slacker dans l’histoire

Je date l’apparition de la musique slacker aux Dictators (voir mon interview). Le premier album du groupe, Go Girl Crazy!, paraît en 1975. Il est introduit sur un “this is just a hobby for me, nothing you hear, a hobby”, et il fait l’apologie des voitures, des filles, de la fête, de l’alcool, du sexe, bref, d’une vie tout en douceur. Le groupe précède en cela la maxime “sex, drugs, rock n’roll” de Ian Dury, mais il y a autre chose : rien ne doit être important. Il faut rire de tout avec les Dictators, oublier “hier” grâce à l’alcool, emmerder “demain” et ne vivre que pour le plaisir de l’instant.

Trois morceaux de cet album donnent les codes de la musique slacker. Le premier, c’est “Teengenerate“. Le slacker est une musique adolescente, souvent jouée par des types dans leur 20s. Les corps doivent être fermes, pre-décomposition. Le deuxième, c’est “(I Live For) Cars and Girls“. Oubliez les plaisirs de l’esprit, les Dictators assument le consumérisme à tout va, celui de la Grande Amérique qui construisait son Empire.

Et puis, il y a “California Sun“. On n’imagine pas un slacker avec une grosse parka du côté de la Norvège. Non, l’apparence est trop importante. Avec sa casquette à l’envers, ses faux muscles et son jean serré, le slacker à l’allure d’un futur macho qui fait déjà germer l’idée d’un collectionneur. Oh, et puis, il y a “Weekend” qui nous ordonne de faire de chaque jour un samedi en puissance, et “Two Tub Man” qui nous dit : “I think Lou Reed is a creep, I need a girl I need release (…) Edjumacation ain’t for me, I’m so drunk I can barely see (…) What I want to do I do, who I want to screw I screw!”

Le deuxième album fondateur, c’est Ramones. Avec “Blitzkrieg Bop” et “I Wanna Be Your Boyfriend“, le groupe ajoute un univers très candide à la musique des Dictators. On se retrouve dans des chambres avec des posters plein les murs, il faut idôlatrer. Les Ramones accentue le côté College, l’amour du campus et de l’amour sans limites (voir Rock ‘n’ Roll High School). C’est, en somme, un brin plus romantique que la version Dictators, mais les groupes qui viendront se chargeront de faire la liaison entre l’obsession sexe du premier et l’amour filmesque du second. Subterranean Jungle est à mon sens l’album des Ramones qui encapsule le mieux les débuts de la scène slacker. C’est pour cette raison que j’ai organisé un album de reprises autour de ce dernier.





Le slacker 2010s

Petit saut dans l’histoire, nous voici désormais au début des années 2010s. Depuis les Dictators jusqu’au début de la Présidence Obama, 30 années se sont écoulées. La scène slacker n’a pas encore explosé, mais l’imaginaire qui l’accompagne n’a jamais été aussi présent dans le cinéma pour 15-30 ans. Je liste 40 films qui font honneur au slacker sur grand écran : la liste.
Tout commence donc véritablement au début de la décennie passée. J’ai déjà eu l’occasion de lister mes choses slacker préférées (albums + morceaux), mais je ne peux résister à la joie d’en parler à nouveau. Cela me rappelle cette folle époque révolue où j’écrivais article slacker sur slacker. Alors voilà, le pilier de la musique slacker moderne est Nobunny. Il n’est pas reconnu à sa juste valeur, parce que sans lui, il est possible que la scène slacker n’ait jamais connu un tel engouement. Nobunny, c’est celui qui a donné sa légitimité à Burger Records qui, en 2009, fera paraître Raw Romance (écoutez “Your Mouth“, dans le genre parfait). Nobunny, c’est également celui qui va accentuer le côté débile des artistes slacker, tandis que Wavves insiste sur le côté Californien avec King of The Beach. First Blood paraît une année plus tard. C’est l’un des 5 meilleurs albums slacker de la décennie.
L’un de ses potes, Hunx (accompagné de ses Punx) fait paraître Too Young To Be In Love en 2011. Les codes du slacker 2010s sont désormais posés : la musique sera punk dans l’attitude, pop dans la réalisation, et volontairement idiote tout le long du chemin. Il en rajoute une couche avec Hairdresser Blues en 2012. Tout ça, c’est ce qui précède 2013 : l’année des révélations. Voyez par vous-même la liste des albums tirés du classement Still in Rock de la décennie slacker : 
18. Crazy & The Brains – Let Me God (2013)
17. King Tuff – Was Dead (2013)
13. Audacity – Butter Knife (2013)
9. Mike Krol – Trust Fund (2013)
7. Nobunny – Secret Songs (2013)
6. Mike Krol – I Hate Jazz (2013)
5. Fidlar – Fidlar (2013)
Est-ce la plus grande année slacker de l’histoire ? Assurément. Peut-on espérer qu’elle se reproduise un jour ? Assurément pas. 2013 est au slacker ce que 1977 est au punk : un couronnement. Heureusement, 2014 (qui avait la lourde tache d’assurer la relève) ne démérite pas. Cette année, c’est au tour de Total Slacker de faire paraître Slip Away. L’album est à mon sens non seulement le meilleur LP slacker de l’histoire, mais aussi, le meilleur LP de la décennie 2010s (classement). On le retrouve dans mon top 20 ever. Voilà.
En 2015, arrive le tout à fait culte Too, deuxième album de Fidlar. Si je devais faire un sondage questionnant votre groupe slacker préféré, je suis certain que Fidlar emporterait la palme. Dans le même temps, Mean Jeans fait paraître ses Singles. Ce jour-là, on atteint un sommet en matière de dumb rock. Et Mike Krol se fait remarquer avec Turkey. Lui aussi a marqué les années 2010s !
Les choses commencent toutefois à se gâter dès 2016. Seul Hypper Vessels, l’album Audacity, sort du lot cette année là. Et 2017 ressemble déjà à un chant du signe avec The Kids Will Know It’s Bullshit, l’album des Dune Rats. Le groupe encapsule tous les clichés de la scène slacker, et lorsque des albums “synthèse” arrivent ainsi, on peut logiquement craindre que la page soit déjà en train de se tourner. En 2018 et 2019, aucun album slacker ne parvient à marquer l’histoire du genre.
Et maintenant ?

Que s’est-il donc passé ? La première explication est mécanique : les genres vont et viennent, et après 7 années de slacker-a-go-go, il fallait s’attendre à un remplacement du genre. La deuxième est idéologique : la scène slacker, avec son apologie de la consommation de 6-pack et de filles est probablement arrivé en fin de cycle, juste avant me-too et autres mouvements libérateurs. Voyez les critiques qui s’élèvent contre Animal House. Pour sur, la musique slacker était emprisonnée dans des codes (masculins) qui marqueront une époque, et il est probable qu’ils soient bientôt regardés avec dédain. La troisième, c’est l’apparition de la scène post-skate, l’exact opposé des slackers. Je me suis déjà exprimé à ce sujet (voir l’article).
Mais est-ce véritablement fini ? Bien entendu, quelques groupes du genre continuent à faire paraître des albums slacker d’exception : je pense à Tony Dork, The Chats et Amyl. Tous les trois joueront la gagne des années 2020s, mais pour ce qui est d’un véritable mouvement, l’affaire est-elle réglée ? J’eus été tenté de répondre par la positive il y a un mois de cela, mais je crois désormais devoir nuancer mes propos.
Le besoin de justice sociale qui se fait de plus en plus présent (ou visible) aux Etats-Unis fait peser une incertitude quant à la direction que prendra la scène DIY rock’n’roll. Si l’histoire se répète, le slacker disparaîtra pour quelques années au moins. Mais rien n’est moins dit. En réalité, je vois deux réactions possibles aux évènements qui ont suivi l’assassinat de George Floyd :

That’s right. La scène peut effectivement répondre en accuentant le besoin pour un punk engagé, comme les Anglais l’ont fait en 1977. C’est possible. Mais la scène peut également se réfugier dans la musique slacker qui a toujours fait l’apologie d’un monde très candide, un monde où le rire est roi. C’est également possible. Et si jamais elle venait effectivement à prendre cette direction, rien n’empêche de se débarrasser de certains des codes sexistes qui pourraient logiquement en repousser plus d’un (Total Slacker a montré le chemin). Tout est désormais possible, les amis.

Playlist-time

Voici donc ma brève histoire de la musique slacker. Je l’aime, malgré ses défauts. Pour cette raison, je vous laisse avec une playlist qui, je l’espère, encapsule ce qu’elle a produit de meilleur. Amis slackers, sortez les kegs, retournez sur les campus et festoyez dignement avant que l’on nous en empêche à nouveau !

Post a comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *