Le groupe le plus sous-estimé des années 1990s

(si ça sent pas le grungy/cheesy 90s ça…)


Lotion est le groupe le plus sous-estimé des années 1990s. Ce qui ressemble à une formule journalistique pourrie cache je l’espère une hypothèse crédible que je m’en vais essayer de défendre.




Overview des années 1990s

Il y a plus de 35 groupes nineties dans la rubrique anachronique de Still in Rock à l’occasion de laquelle je me suis permis de revisiter une partie de notre héritage commun. Je les aime tous, bien qu’ils rentrent dans différentes catégories. Il y a en effet : 

  • Les véritables icônesje pense bien évidemment à Pavement, Sonic Youth, Built to Spill, Beck, Nirvana, Weezer…
  • Les vénérés de la scène indépendante : je pense ici à Ian Svenonius, Superchunck, les Reatards, Ween, Silver Jews, Teenage Fanclub, Guided by Voices, Beat Happening, Galaxie 500…
  • Les papes d’un genre : Chris Bell (power pop), Polvo (rock cathartique), Maggie Estep (poésie trash), Tullycraft et Garageland (garage twee), Country Teasers (garage misogyne)…
  • Les autres : Holy Sons, Duster, Butterglory, Erectus Monotone, The Jesus Lizard, Archers of Loaf… et Lotion.
Lotion n’a jamais atteint le grand public, et les années passant, il ne s’est pas plus transformé en groupe culte des années 1990s. Il y avait pourtant une belle histoire, celle de deux frères (Bill et Jim Ferguson) qui voulaient conquérir le monde. Et puis, sa musique est un symbole de ce que le mouvement contre-Empire mais Empire quand même a fait de mieux. Ça n’a visiblement pas suffi.

Oser Lotion

Sa discographie est simple à comprendre : Lotion a fait paraître trois albums, et les trois sont excellents. Il y a Full Isaac (1994), Nobody’s Cool (1995) et Telephone Album (1998). Lotion y produit un son un peu grungy (au sens de Pearl Jam), emprunté de rock alternatif (je vais y revenir) et d’énormément de mélodies pop (je vais insister). Sa discographie forme un tout indissociable, nul besoin donc de commencer par le commencement.

Mais puisqu’il faut faire dans l’ordre, allons y gaiement. Full Isaac (1994), c’est un album qui a tout de son époque : des mélodies métallisées, de grandes partitions vocables, des paroles innocentes, une certaine grandiloquence et l’envie d’affronter l’Empire de l’entertainment américain sans pour autant trahir aucune de ses valeurs. En fond, on imagine flotter le Stars and Stripes, fier de sa puissance et convaincu de répandre un mode de vie éternel. L’avant 2001 n’est jamais mieux illustré que par Lotion. Le Monde ne peut possiblement accoucher de la moindre crainte qu’une bonne partie grungy ne saurait éliminer. On se retrouve alors à écouter de véritables masterpieces américaines, au premier rang desquelles “Dr. Link“. Ses paroles m’entêtent : 

Sugar bear’s been pushing me around for days
Come in my room and I smell it again
Well it brings me back to Demi on the bus
She sees me acting mean
That’s the first time that I felt the buzz
I feel good all over
Perfume

Elles me ramènent constamment au monde dépeint dans l’un de mes all times favorites, Good Will Hunting (1994). Elliott Smith, auteur de la bande-son, laisse place à un Lotion plus percutant qui encapsule davantage le goût aventurier-tête-brulée de Matt Damon dans ce qui reste un monument cinématographique.


Vient ensuite Nobody’s Cool (1995). Dès “The New Timmy“, on comprend que Lotion s’est appliqué à être plus crooner-nineties que sur le premier. L’album est davantage mélodique, et c’est ce qui me reste après des années d’écoute. Ils sont rares les morceaux pour lesquels la simple lecture du titre suffit à se rappeler la musique. Lotion fonce comme un New-Yorkais sur sa moto, une fois arrivé dans la Valée de la mort. Il n’y a pas la moindre hésitation, que ce soit dans les moments d’euphorie à l’image de “Blind For Now” (peut-être mon morceau préféré du groupe), comme dans les moments de sincérité (“The Sad Part“). C’est cheesy, bien sûr, mais il n’en demeure pas moins que ça dégage une invincibilité dont tous les hommes ont probablement rêvé. Est-ce que Lotion est davantage fait pour les mecs que le public féminin ? Probablement, ouais. Beaucoup de titres sont une affaire de bromance, voir “The Enormous Room“.
Et puis, il y a “✆”, aka The Telephone Album (1998). J’ai découvert cet LP sur le tard. C’est le plus pop des trois, et il ne démérite en rien, peut-être est-ce même devenu mon p’tit favori. Toujours avec cette production nineties, il nous plonge dans une grande valse amoureuse à coup de “Feedback Queen” et de “No. 99“. Sur “Mister President“, Lotion semble prendre un brin de recul sur lui-même :

You smell cologne of fresh birthday cakes
And it’s so easy, it feels like stealing
As the paint chips away from the ceiling (…)
Remember when I got my wishes granted?
I grew somehow disenchanted
But surely you’ll remain
So cute asking stupid questions

Ce titre m’a toujours troublé, mais j’en suis arrivé à la conclusion que Lotin feintait de ne pas être cheesy pour se permettre de l’être davantage sur les morceaux qui suivent, voir “My Name Is Prince” et “Drop Dead“. Une fois encore, ✆ est un album dominant.

Lotion aujourd’hui

Lotion, c’est un groupe moyennement inclusif : il fallait joindre le mouvement ou se ranger sur le côté, pas question pour lui d’aller faire preuve de fausse modestie pour attirer les âmes perdues. Lotion, c’est donc une affaire d’écrassement, celle d’un groupe 90s originaire de Manhattan qui ne comprenait que le mot “fin” est un sens. C’est l’Empire qui daignait s’adresser aux milieux indépendants.

Lotion fait donc se poser une question : pourquoi s’opposer au dialogue lorsqu’il est le fruit d’une démarche généreuse. Après tout, Lotion pensait que les USA allaient dominer le monde pour le monde, et ça, en imposant une culture qui allait être faite pour la Terre entière. Peut-être n’avait-il pas raison, mais lui, au moins, voulait ce qu’il y a de mieux pour les autres. Sa musique reflète constamment cet élan.

Bill Maher disait récemment dans son émission, “the party is over”. Il pourrait bien avoir raison, mais il y a toujours Lotion pour nous inclure dans la grande party 90s où l’Empire semble être inarrêtable. Cessons la lutte par moment, et allons trinquer avec le spectre d’une blank generation qui a tout donné pour appliquer les princeps grunge : puissance et rien à foutre.

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