JE SUIS CON.

Je suis con. Voilà 2400 articles que je m’évertue à trouver les quelques groupes qui me provoqueront une érection cérébrale pendant plus de deux semaines. 2400 articles que je demande combien d’autres Total Slacker, Dumb, Naomi Punk, TH da Freak et autres groupes quasi inconnus de la sorte se cachent dans les salles obscures des Etats-Unis, du Canada, de l’Australie, ou peut-être même de l’Europe. Ils sont la véritable raison d’être de Still in Rock, celle dont je m’entretenais avec vous pas plus tard qu’en janvier dernier (ici). Lorsque je mets la main sur l’une de ces raretés, je jubile. Non pas qu’il s’agisse d’un plaisir malsain à détenir ce que les autres n’ont pas – j’ai bien d’autres défauts, mais peut-être pas celui-ci, non, en réalité, je jubile à l’idée d’un nouveau possible. C’est finalement tout ce qui compte, le possible.
Je suis con lorsque je ne maximise pas mes chances de me procurer de tels exorcismes, or, force est de constater que je n’ai pas tout mis en oeuvre pour me procurer Gash plus avant. Le groupe est semble-t-il un pote de Dumb. Il est distribué sur toutes les plateformes (lien), et une (certes infime) partie de la presse indie ne s’est pas privée d’en parler. Il fait, qui plus est, dans un genre quasi-inexploité qui aurait dû attirer mon attention : garage rock mid-fi qui passe en puissance au soutien de morceaux déconstruits, du rock cathartique qui ne peut rougir devant aucun autre. Gash, c’est effectivement un mélange de Slint, de Polvo, de Naomi Punk et de slacker nineties à la Pavement.

Le groupe a fait paraître son premier EP en 2018. Voilà deux années qu’il m’échappe donc. Drôlement nommé haha, il a tout des grandes sorties des années 2010s : un aspect noisy qui empêche que l’on puisse le saisir pleinement, de nombreuses coupures à contretemps qui le rendent toujours inattendu, deux guitares (formule magique), le cool nineties des slackers véritables (article), des morceaux courts et nerveux, d’autres longs et psychotiques, bref, Gash est la “delusion” par excellence (“idiosyncratic belief or impression maintained despite being contradicted by reality or rational argument, typically as a symptom of mental disorder”). Je suis con parce que j’ai décidé de nommer ma chronique du lundi de la sorte sans même me préoccuper au préalable d’y coller une identité sonore.
Je suis con parce que je passe une partie de mes dimanches matins, lorsque je fais ma “recherche musicale” hebdomadaire, à passer en revue des albums dont les pochettes me plaisent, parce que c’est subjectif. Je suis con parce que ce pansement aurait du m’attirer l’oeil. Je suis con parce que j’aurai du suivre Heavy Meadow Records de plus près. Le label est visiblement bourré de talent. Je suis con parce que je défendais pas plus tard que la semaine dernière le fait que ces labels pouvaient encore nous servir un temps, justement, pour coller des étiquettes sur des groupes qui le méritent. Gash n’est pas une obscurité qui traine sur les fonds du dark web. Il ne demandait qu’à être cueilli. Gash, c’est précisément le genre de groupes qui me donnent envie de créer mon propre label, d’envoyer valser les quelques théories vaseuses développées ici ou ailleurs. Je suis con parce que je ne le ferai pas. 

Je suis con, mais pour tout cela, je me pardonne (pratique).
Là où ma connerie est plus problématique, c’est pour ce qui suit.

CON.

Je suis con, surtout, parce que je participe de cette apathie générale. On est là, tous, à accepter la culture de l’image qu’Instagram et autres merdes du genre sont en train de nous imposer. On ne se révolte pas contre les algorithmes qui aplanissent la culture. On se dit que c’est pratique. On se dit que, OK, la musique électronique l’a emporté sur notre génération. Que les cons qui l’écoutent ne peuvent plus être convertis. On les prend de haut. Ils le méritent, certes, mais il faudrait que l’on se batte davantage. Il faudrait que, comme Iggy Pop, on les insulte, et que l’on fasse en sorte qu’ils reviennent du bon côté de la force. Il faudrait que, lorsque je découvre Gash, je ne sois pas déjà résigné, que je n’admette pas qu’il est pour l’instant réservé à une poignée de lecteurs dont je suis fier qu’ils lisent Still in Rock, mais qu’il ne parviendra jamais, non jamais, ne serait-ce qu’à jouer un seul concert en Europe. Je suis con parce que je pourrai faire plus, être plus extrême encore, de fait, être un extrémiste de la scène rock indépendante, vomir sur les autres tant qu’ils n’en font pas partie, les rendre honteux, faire d’eux des pantins de la culture mainstream, engager des joutes philosophiques pour chercher à les ridiculiser, les bousculer, les culbuter aussi, mais seulement voilà, je suis devenu PC, j’accepte les autres comme ils sont, j’applique ces principes libertaires de tolérance à tout va, je me contente d’avoir une petite scène à ma disposition, mes petits concerts dans des caves parisiennes, mes petites manifestations dans des hangars d’Amsterdam, souvent loin du centre-ville, souvent loin des préoccupations des autres, je suis con parce que je me dis qu’un public de 50 personnes c’est déjà cool, que je me délecte de l’intimité que cela me procure, du dialogue qui devient possible lorsque la salle est à peine remplie, du sentiment d’expérience inédite, et ainsi va le monde qui m’entoure. Je suis con parce qu’il faudrait que j’écrive davantage sur l’objectivité dans l’art, et qu’ensuite, je fasse la promotion de la fermeture d’esprit. Je suis con parce que je ne le ferai probablement pas.

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