Sonic Youth Week: Le sommet, A Thousand Leaves (1998)

 

Cet article fait partie de la “Sonic Youth Week
Cliquez ici pour accéder aux autres publications de la série
*********

 

Sonic Youth. Nous revoilà pour le quatrième jour de la semaine dédiée à Sonic Youth. Nous revoilà dans les entrailles du rock expérimental.
Aujourd’hui est l’occasion d’évoquer A Thousand Leaves dans un article sous-titré “sommet”, non pas parce qu’il écrase musicalement les autres albums du groupe, mais parce qu’il est une finalité après tant d’années à galérer sur la scène indépendante, après tant de violences et de désarrois. A Thousand Leaves est le 10ème album studio du groupe et je voudrai immédiatement signaler un nouvel exploit de ce dernier. Combien sont-ils à avoir faire paraître des chefs-d’œuvre après 10 années d’existence ? Très peu, pour dire le moins et une chose est sure, on peut compter Sonic Youth dans cette liste-là. À vrai dire, confidences pour confidences, si je ne devais garder qu’un seul album de Sonic Youth, je crois bien que ce serait celui-ci (enfin, ça reste à voir… mais c’est à considérer !).
À la différence des autres albums chroniqués en début de semaine, celui-ci fut directement produit par le groupe. Il s’était par ailleurs fait accompagner de Wharton Tiers, connu pour son travail avec différents groupes de musique expérimentale. Et puis, A Thousand Leaves est le premier album enregistré par le groupe dans son propre studio qu’il avait construit avec l’argent qu’il avait ramassé pour avoir joué Lollapalooza en 1995. Voilà pour quoi il est également un sommet.
Oh, et puis, précisons enfin que jamais Sonic Youth n’avait laissé passer 3 ans entre deux de ses sorties. Les membres du groupe disaient avoir besoin de temps pour eux après 16 années passées sur la route. Ils se seront finalement servis de cette coupure pour construire des morceaux ingénieux. Lee Ranaldo en dira que le groupe voulait simplement jouer en fonction des envies de l’époque, sans se forcer à produire un nouveau Goo, sans aller chercher une violence qu’il ne voulait plus traduire de la même façon, “we really didn’t feel like what we needed to be doing was producing another record like Goo“. Au final, cet album est probablement celui dans lequel Sonic Youth a laissé le  plus de place à l’improvisation en studio. Et ça s’entend aussi !

Avant toute chose, je voudrai une fois encore signaler les albums qui se sont glissés entre A Thousand Leaves et Goo, l’album chroniqué hier. Sonic Youth avait en effet délivré trois LPs qu’il serait dommage de ne pas mentionner. Le premier d’entre eux est Dirty, paru en 1992 via DGC. L’album est d’une qualité constante avec un pic sur “Purr“.
Le deuxième album paru dans ce laps de temps est Experimental Jet Set, Trash And No Star, paru en 1994 sur le même label. D’une qualité assez inégale, il est la maison de plusieurs morceaux d’excellence : “Bull In The Heather“, “Bone” et “Sweet Shine“. Le troisième et dernier album est Washing Machine qui paraîtra une année plus tard. Ne manquez pas “Little Trouble Girl, “Panty Lies” et “The Diamond Sea“. Avec ça, vous irez bien.

 

Revenons en à présent à A Thousand Leaves. L’album est introduit par “Contre Le Sexisme“, un dialogue étrange entre Kim Gordon et elle-même. Sonic Youth joue en plein la carte art-rock, délaissant un temps le côté noisy de ses albums précédents. Les groupes ont souvent tendance à s’assagir au fil des années, perdant leur punk original et par la même la qualité de leurs albums. Ce n’est pas le cas de Sonic Youth. A Thousand Leaves est certes moins punk mais il réserve d’excellentes surprises à quiconque veut bien les saisir. La preuve avec “Sunday“, le deuxième morceau qui fut longtemps le single. Initialement créé pour SubUrbia, le nouveau Richard Linklater de l’époque, il fut réenregistré par la suite de sorte à réévaluer son intégration au sein de l’ensemble. Sonic Youth y prend toujours un malin plaisir à faire croire à un titre instrumental avant d’imposer une partition vocale poétique et nerveuse.
Female Mechanic Now On Duty” était une réaction féministe à une mauvaise manie de la presse toujours en proie à cataloguer les artistes féminins. Kim Gordon ne quittera jamais ce thème, d’où le titre de son dernier livre, Girl In A Band. Elle le souligne d’ailleurs très justement, on parle facilement de all girls band alors que l’expression de all boys band n’est jamais évoqué. Toujours est-il que ce titre là sur le thème de la mécanique des femmes se laisse longtemps désirer avant que Kim Gordon ne vienne sceller notre sort à la 6ème minute. Vient ensuite “Wild Flower Soul“, un titre plus brut que les précédents. Il fut reprocher à cet album de résonner comme une compilation de démos. C’est idiot tant les structures sont abouties, mais on en comprend le sens à l’écoute des deux guitares.
Hoarfrost” traduit une marche par temps de neige. Le titre commence ainsi, “I put my feet deep in the tracks that you made; Walked behind you off into the wood” et se finit sur un chemin expérimental qui n’en demeure pas moins placide. Et puis, “French Tickler” clôt la première face. Kim Gordon prend le lead. Le titre se compose de deux phases, l’un creepy, l’autre énervée. A vous de choisir.

Le premier titre de la face B, “Hits Of Sunshine (For Allen Ginsberg)” est à l’évidence un hommage au grand poète de la Beat Generation qu’il ne manque pas de citer. Le titre commence sur un au revoir et se poursuit sur une longue explication. Il est de loin le plus long de tout l’album, 11 minutes et quelques secondes à son compteur. On comprend mieux le titre de cet album qui se traduit en français par Mille Feuilles, un temps considéré pour être le nom officiel. Toujours est-il que l’échange entre Thurston Moore et Lee Ranaldo est sensationnel. Les deux guitares se répondent à merveille, voilà probablement le temps fort de cet LP.
Vient alors “Karen Koltrane“, neuf nouvelles minutes pour un morceau qui évoque les destinées un peu ratées, celle de l’ancienne star du lycée qui finit tristement sur son canapé. Chanté par Ranaldo, ce titre tente de nouvelles expériences sonores. Il est surtout l’occasion de faire briller une fois encore ce nouvel arrangement studio qui est mille fois irréprochable. Karen va plus loin que les autres et il fallait bien mettre au supplice l’auditeur pour lui faire comprendre la force de ces quelques accords désaccordés.
The Ineffable Me” restera pour sa part comme l’un des meilleurs Kim Gordon de la discographie du groupe. Tout est fait pour elle, une instru’ inquiétante, sa voix qui est parfaitement distillée et des paroles qui laissent planer le doute sur sa santé mentale. Kim Gordon semble tenaillée entre la nécessité de se contenir et l’envie d’exploser, ce que le refrain répété en boucle traduit invariablement. Au final, “The Ineffable Me” traduit une grande tension, un peu comme l’on redoute toujours les esprits que l’on croit fous.
Snare, Girl” nous redonne plus de douceur, au moins en apparence. Le titre évoque le fait d’être parent et l’on comprend la responsabilité chantée par Thurston Moore. “I’m here for you, can’t you see what I’m doin’? I bring you news from the kingdom of disciples in ruin“, dit-il. Ce morceau est l’un des plus saisissants de l’album, cette fois-ci entre délicatesse et anxiété. A Thousand Leaves se conclut enfin sur “Heather Angel“, un peu comme il a commencé. Très peu d’arpèges sont présents dans la discographie de Sonic Youth, il faut saisir celui-ci au pied levé. Ce titre concrétise beaucoup des peurs évoquées dans cet LP. On est pas vraiment sûr de tout comprendre et l’on se dit toujours qu’une nouvelle écoute arrangera notre cas. Goodbye, dit-elle.

 

L’objectif premier du groupe était de faire de A Thousand Leaves un album entièrement instrumental. Il changera d’avis pendant l’enregistrement, mais il est certain que cet LP contient des traces de cette volonté initiale : les morceaux sont mélodiques, parfois moins bourrus que ce à quoi Sonic Youth nous avait habitué, mais assurément tout aussi narquois.
N’allez pas croire que parce que A Thousand Leaves est moins ténébreux que les autres albums de Sonic Youth parce qu’il est parfois plus flegmatique. Sonic Youth n’y a toujours pas trouvé la sérénité qui fera de lui un groupe d’art-rock pour disquaires de plus de 60 ans (je n’ai rien contre vous). A Thousand Leaves traduit plutôt l’anxiété de cette entité d’une autre façon, plus intérieure, plus freudienne, en somme. Les titres de cet LP sont particulièrement longs, comme ci Sonic Youth compensait l’abandon de son punk vocal (en grande partie) par le besoin de s’exprimer à travers plus d’instru’. A Thousand Leaves est certes un album réfléchi qu’il faut appréhender en tant que tel, mais on en ressort grandit avec l’impression d’avoir appris quelque chose sur le groupe, sur l’intime de ses membres, et donc sur nous même.
La suite et fin de nos aventures demain…

 

(mp3) Sonic Youth – The Ineffable Me (1998)
(mp3) Sonic Youth – Hits Of Sunshine (For Alan Ginsberg) (1998)

Lien afférent :
Les articles de la Sonic Youth Week

Post a comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *