À part : Kamasi Washington (Jazz / Bebop)

La vocation de Still in Rock est de couvrir les scènes indépendantes du rock (et sous-genre). Cette vocation restera toujours. No worries. Mais si je commence l’article du jour de la sorte, c’est parce que l’on va aujourd’hui s’intéresser à du jazz, à du bebop.
Lorsqu’un autre style musical que le rock connaît une petite révolution, je crois opportun de le remarquer. Cette révolution, c’est celle du saxophoniste Kamasi Washington qui vient de faire faire au jazz ce que peu de grands noms ont réussi : un pas en avant. Et puis, il y a une passerelle importante entre le jazz et le rock, c’est ce que j’ai tenté de démontrer avec la mixtape Melted Jazz, paru sur Still in Rock en mai dernier. Les longues phases d’impro d’un artiste de jazz ont inspiré une large partie de la scène rock et des artistes comme Frank Zappa illustre la beauté des deux musiques qui dansent ensemble. Et puis, c’est également ce que l’on constate dans This Is Spinal Tap, right ?


Kamasi Washington est un artiste originaire de Los Angeles. Il se fait connaître en 1999 lorsqu’il remporte la John Coltrane Music Competition. Il s’est depuis illustré avec plusieurs grands noms du jazz actuel, dont Kenny Burrell, et a également collaboré avec des artistes pop et des rappeurs. Le mec que vous entendez au saxophone sur To Pimp a Butterfly de Kendrick Lamar, c’est lui. Et puis, il a fait paraître son premier album en 2015 via Brainfeeder, The Epic. C’est là que tout commencera véritablement.

Sorte de bebop complètement décomplexé de l’influence des pères (même si l’on est tenté d’en reconnaitre plusieurs, le flow de Coltrane, les cassures de Mingus et les structures de Jarrett, par exemple), The Epic est un album de son époque, l’un des meilleurs albums de jazz de son époque. Il n’y a qu’à voir Kamasi jouer sa musique en live pour se rendre compte de la maitrise de ses musiciens qui manient chacune des techniques les plus modernes. Le son finalement produit est avant-gardiste en ce qu’il laisse place à un univers quasi-mystique créé de toute pièce par Kamasi Washinton, le tout, emporté par de longs jams qui pourraient inspirer bien des artistes rock’n’roll.

The Epic se compose de trois volumes, Volume 1 – The Plan, Volume 2 – The Glorious Tale et Volume 3 – The Historic Repetition, pour 170 minutes de musique. Le premier est introduit par “Change of the Guard“, un morceau très Herbie Hancock où le synthé est à pleine puissance et sur lequel le saxophone de Kamasi prend immédiatement le lead. Et puis, un magnifique chorus vient rapidement nous rappeler au mystique de Sun Ra. “Askim” est plus centré sur la guitare et il participe finalement de former une introduction épique. Viennent ensuite des titres plus lounge, plus Albert Ayler, à l’image de “Isabelle” qui, pour le coup, sont plus éloignés de l’énergie vitale du rock’n’roll. On retrouve la folle envie de saturation de Kamasi sur “The Next Step“, c’est psychédélique, à la limite du free jazz, à la limite d’Horace Tapscott.

On attaque le Volume 2 avec “Miss Understanding“, un des titres les plus post-bop de l’album. Les fans de Art Blakey seront comblés. C’est, à mon sens, l’un des grands temps forts de cet LP. On retrouve les airs introductifs sur “Re Run” avant que “Seven Prayers” ne joue de plus de dissonances. C’est, une fois encore, l’influence de la clique de Pharoah Sanders qui s’exprime en plein, celle de ces artistes de jazz qui étaient entrés en plein dans un monde allégorique. On ne pourrait également passer à côté de “Henrietta Our Hero“, le premier titre vocal de l’album. “The Magnificent 7” vient conclure ce volume avec la grâce retrouvée d’Hancock. Les coeurs permettent de faire le pont entre tous ces sous-genres du jazz que Kamasi prend un malin plaisir à mêler les uns aux autres.

Le Volume 3 s’ouvre sur “Re Run Home“, le titre le plus Sun Ra de l’album. Ce titre, à lui seul, illustre l’immense talent de Kamasi et de sa troupe avec laquelle il joue depuis le lycée. Le bebop de Washington s’exprime avec douceur avant que le saxophone ne viennent crier à la façon d’Horace Silver. Il oscille entre l’aspect mécanique d’un monde fantasmé qui se déroulerait selon des rouages précis et celui d’un jazz fusion plus ésotérique. Kamasi Washington rend accessible des styles musicaux réservés à trop peu, “Re Run Home” pour meilleur exemple. Sa reprise de “Cherokee“, le titre mythique de Ray Noble, ne pourrait mieux le démontrer. Mais après ces quelques minutes d’une extrême jovialité vient “Clair de Lune” de Debussy, façon Washington, à s’en tirer les larmes aux yeux. L’Historic Repetition continue avec “Malcolm’s Theme” et “The Message“. Le dernier, une compo originale, renoue une dernière fois avec le Bebop de ses débuts.

Kamasi Washington parvient ainsi, en quelques morceaux à peine, à intégrer la troupe des Sun Ra et Sanders, logiquement en faisant honneur au grand John Coltrane. Cet LP, mené par ses chorus et le saxophone d’un grand, nous accompagne dans les contrées lointaines que l’on a déjà visitées sur certains King Gizzard, Connan Mockasin et Unknown Mortal Orchestra… Que la Juilliard School of Jazz se prépare à répéter son Kamasi Washington, il se pourrait bien qu’il soit bientôt au programme. En attendant, je vous laisse avec les meilleurs moments de la release party, plus de 4 heures de live (lien). Et puis, ne manquez pas sa session pour KCRW. Tout est là.

Post a comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *