Avec cet article, je ne veux pas retracer l’histoire de la musique anti-folk – que je qualifie ici de naïve, ou prétendre à une quelconque exhaustivité sur le sujet (je n’ai rien à dire sur Leonard Cohen, et je ne veux pas me répéter sur le génie de Jonathan Richman ou la candeur de Juan Wauters). J’envisage plutôt de parler de quelques artistes qui sont trop peu exposés. Je veux surtout parler des dessinateurs new-yorkais qui voulaient faire un peu de poésie, sans le bullshit habituel des artistes maudits. Je veux parler de ceux qui utilisaient l’ironie pour se protéger du monde extérieur qu’ils concevaient trop difficilement.

King Missile

Notre chemin commence avec King Missile, parce qu’il ouvre (mieux que les autres) la porte de ce drôle d’univers. Sous couvert de paroles innocentes et de mélodies enfantines – des boucles et des boucles, King Missile (John S. Hall) est… un artiste “sensible” (je vais y revenir). Trois thèmes occupent ses chansons : “(a) life is hard, brutal, capricious and unfair, (b) sometimes there is a benefit to seeing it clearly, and acknowledging it truthfully…, and (c) other times it is best to find something to laugh about, lest despair crush one completely.”

Tout commence avec Fluting On The Hump (1987). Dedans, il y a donc “Sensitive Artist“, un titre qui semble avoir été composé à la fin des années 2010s : époque où l’on a commencé à parler de “safe space” et autres ambitions woke. Voyez par vous-même :

I am a sensitive artist.

Nobody understands me because I am so deep.
In my work, I make allusions to books that nobody else has read,
Music that nobody else has heard,
And art that nobody else has seen.
I can’t help it, because I am so much more intelligent and well-rounded
Than everyone else who surrounds me.
I stopped watching TV when I was six months old
Because it was so boring and stupid,
And started reading books,
And going to recitals and art galleries.
I don’t go to art galleries…

Mystical Shit (1990) est son troisième album, à mon sens le meilleur de tous. On y trouve “Jesus Was Way Cool“, un hymne de la scène anti-folk :

Tous les albums de King Missile méritent le détour. Et si John S. Hall a un temps abandonné sa carrière pour aller à la faculté de droit de Cardozo (New-York) et devenir avocat, il a depuis repris les micros. Il semblerait donc que son stock de mystical shits ne soit pas encore épuisé.

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Jeffrey Lewis

Comme King Missile, Jeffrey Lewis a pris son envol sur la scène new-yorkaise – allant d’open mic en open mic pour réciter sa poésie. Il est aussi dessinateur, et c’est ici que je peux enfin parler d’un excellent film retraçant la vie d’Harvey Pickar, American Splendor. Comme tous les films de Paul Giamatti, c’est un must-watch.

Et voici le véritable Harvey Pickar :

Mais pour en revenir à la musique de Jeffrey Lewis, il faut commencer avec The Last Time I Did Acid I Went Insane (2001). “The East River“, “The Chelsea Hotel Oral Sex Song” et “The Last Time I Did Acid I Went Insane” résument tout ce que vous devez savoir sur Jeffrey Lewis. On visite le New York de la scène D.I.Y. en sa compagnie. Son côté twee-déprimé fait de lui un artiste candide que l’on veut écouter lorsque le monde devient trop méchant. Parce qu’être méchant, c’est mal.

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The Taxpayers

Avec The Taxepayers, la chose est un peu différente, peut-être parce qu’elle davantage instrumentalisée. Mais les thèmes sont similaires. Son hit, c’est “I Love You Like an Alcoholic“, nouvelle ode à la vie de débauche. Tiré de God, Forgive These Bastards: Songs From The Forgotten Life Of Henry Turner (2012), il s’accompagne de l’excellent “As The Sun Beats Down“. C’est un brin moins naïf, mais tout aussi ironico-adolescent-qui-refuse-de-grandir.

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Wingnut Dishwashers Union

Ce groupe américain formé à la fin des années 2000 s’est montré à nous pour la première fois avec Towards a World Without Dishwashers!. Des le premier morceau, il ne laisse planer aucun doute sur ses amours grungy (“anarcho-folk punk”, qu’ils disent), seulement, il l’exprimait en acoustique (écoutez). Peut-être Burn The Earth, Leave It Behind (2009) est-il son album le plus abouti. Si “Urine Speaks Louder Than Words” a des réflexes très enfantins (allez aussi écouter Johnny Hobo and the Freight Trains, son autre groupe), on retrouve le Jesus de King Missile sur “Jesus Does The Dishes“. L’obsession pour les dishwashers est la même que celle de “The Dishwasher“. La boucle est bouclée. Le groupe s’est éteint en 2009 lorsque Pat the Bunny s’est est allé en réhab pour traiter son addiction à l’héroïne.

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Daniel Johnston

Pour conclure, je voulais simplement mentionner Daniel Johnston. À l’évidence, Daniel est bien mieux connu que les autres artistes de cet article. Deux choses, seulement : mon article à sa mort (lien), et un documentaire qu’il faut regarder. C’est tout.

“La charge nous revient à présent de l’expliquer, puisqu’il ne peut plus le faire. Peut-être, si je devais m’y atteler, commencerai-je par décrire Daniel comme (…) un poète juvénile, capable d’écrire des morceaux comme le ferait un enfant de 8 ans, s’il avait les mots (…) De cette enfance éternelle découle l’absoluité de Daniel Johnston. Il ne cachait rien, et finalement, malgré les tumultes, les pleurs, les chagrins et les espoirs irréalisables, demeurait l’optimisme d’un être nouveau. Pour cette raison, Daniel aimait conclure ses concerts sur “True Love Will Find You In The End“, une continuité de son album Don’t Be Scared.”

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