Depuis deux ans déjà, Sheer Mag et Dumb se tirent la bourre. En jeu ? Le titre de groupe le plus entertaining au monde. Son deuxième album officiel, A Distant Call, a vu le jour le 23 août dernier. Sans surprise, il est très bon. Plutôt que d’en vanter les mérites en m’engageant dans une critique musicalo-technique (je l’ai toujours fait pour les anciennes sorties du groupe), je vais me payer le luxe d’une critique croisée avec le dernier Tarantino, Once upon a time… in Hollywood. La formule m’avait séduit à l’occasion d’une chronique sur les Courtneys, je recommence donc. 
Il faut dire que Sheer Mag a un côté très généreux et évident, comme un bon film de Tarantino. Le réalisateur nous donne toujours ce que l’on veut, quand on le veut. Bret Easton Ellis fait pareil avec sa littérature. Il y a souvent un révisionnisme planant qui, lorsqu’il le faut, vient créer un feu d’artifice : des juifs qui tuent des nazis, des esclaves noirs qui tuent des cons de blancs, des femmes qui tuent des gros porcs. Tarantino réécrit une meilleure réalité, et bien, il en va de même pour Sheer Mag. Je me suis souvent amusé à décrire le groupe comme le leader du mouvement post-2001 : cette scène créée par les Strokes avec des sonorités très claires, très pop, mais dans un élan indie rock un peu coolos. Cette scène, à y regarder de plus près, n’a jamais vraiment produit des groupes excellents. Je dirai même plus, le début des années 2000s est plutôt très mauvais. Que nenni, avec Sheer Mag, on fait comme les clubs embrumés de New York n’avaient jamais été pris d’assaut par la bouse R&B. On prétend que les types qui portent des perfectos sont d’honnêtes amateurs des Ramones, sans prétention, et que les albums qui misent TOUT sur le riff ne sont pas des expressions ratées de quelques types qui veulent se frotter à Hendrix sans jamais y parvenir. 


Dès “Steels Sharpens Steel“, Sheer Mag fait usage de sa recette habituelle : la basse est calée sur la batterie, Tina Halladay pousse la voix et la guitare n’en finit pas de jouer la même boucle. C’est très coloré, très attendu, et… très efficace. Le solo est particulièrement osé, cheesy, et jouissif. Il y a un côté eighties pour le moins curieux. Tarantino introduit lui aussi son nouveau film de la même façon que les précédents. Brad et Leonardo ont la flegme légendaire des personnes du réalisateur. Il y a de longs dialogues, de très longs dialogues…

Ce pourrait être fait exprès tellement c’est attendu, mais la première moitié du film de l’album de Sheer Mag et du film Tarantino souffrent du même défaut : où est l’action ? Sheer Mag délivre un eighties encore plus accentué sur “Unfound Manifest” et “Silver Line“, tandis que Tarantino se perd dans une apologie du cinéma américain sixties qui, d’un point de vue européen, est bien trop longue. Où est donc l’action ? Le flouze, les pépètes, le sexe, la violence, le gore, les riffs, les mélodies qui rendent hommage aux Strokes, les sursauts, le rire, l’amour, l’amitié, et le gore (encore) ? Non, c’est décidément trop léger. Plaisant, parfois sexy lorsque la caméra fait un gros plan sur les fesses de Pussycat (Margaret Qualley) ou que Tina se fait aguicheuse, mais néanmoins léger.
Et puis, vient le moment où la famille Manson est introduite. Le moment où Sheer Mag réintroduit une ambiance de nuit sur son album, avec “Hardly to Blame“. Ah, on ne l’avait pas vu la chanson d’amour. La tension monte, de l’action revient avec “Cold Sword“, le moment où Brad Pitt tabasse un pauvre type. Bon, ah ce stade, le bilan est plutôt mitigé. Les chemins du film et de l’album se sépare ici, pour un temps. Alors que “Chopping Block” hausse le ton, Tarantino continu à ne pas délivrer ce que l’on attend de lui. S’il s’agit bien effectivement de son avant-dernier film, on veut qu’il fasse… du Tarantino. Il dénie. Sheer Mag, pendant ce temps, sort deux guitares du grenier, des cris et un songwriting digne des groupes du début 2000, époque où la grandiloquence ne faisait encore peur à personne. En somme, Sheer Mag va au charbon tandis que Tarantino rechigne à s’engager dans ce qu’il sait faire de mieux.





Le final est un massacre. ENFIN. Sheer Mag chauffe la guitare avec “The Killer”, tandis que Tarantino donne enfin la place à Charles Manson. Ils tergiversent un peu, se préparent à l’attaque, et, finalement, sonnent à la porte. La quatrième minute nous envoie sur une autre planète. Quels sont les groupes à oser de tels arrangements ? Il est être sacrément couillu, et tant pis pour le féminisme. C’est aussi l’approche de Tarantino lorsque Brad cogne les putains d’hippies. Et à la fin : les gentils gagnent. Une partie des méchants “Keep on Runnin”, ils reviendront probablement. Les autres ont le cerveau en morceau. Sheer Mag tente une plus production plus entubée qu’à l’habitude. C’est une réussite.

Au final, cet album de Sheer Mag ne semble pas promettre une immense révolution. Il en va de même pour le nouveau Tarantino, seulement, je me souviens que le premier Sheer Mag m’avait laissé plutôt sceptique (ma chronique était critique), tandis que tous les derniers Tarantino m’avaient explosé la rétine dès la première vue. Il semblerait donc que l’on fasse face à deux trajectoires opposées. Les deux appliquent leur formule habituelle, mais Sheer Mag s’y engage à fond tandis que Tarantino veut la rendre plus apaisée. Les plus silencieux d’entre nous apprécieront peut-être, mais Sheer Mag nous rappelle que l’art est meilleur lorsqu’il n’est pas trop intellectualisé. Les critiques se chargent de ça.


Tracklist: A Distant Call (LP, Wilsuns Recording Company, 2019)
1.
Steels Sharpens Steel
2.
Blood from a Stone
3.
Unfound Manifest
4.
Silver Line
5.
Hardly to Blame
6.
Cold Sword
7.
Chopping Block
8.
The Right Stuff
9.
The Killer
10.
Keep on Runnin’



Liens :
Article Look Back sur Sheer Mag
Article sur le premier single de cet album 

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