Une brève histoire de la musique indépendante japonaise (Vol. 1)

Plutôt aurais-je dû appeler cet article une très brève histoire de la musique indépendante japonaise. Le fait est que la musique japonaise est peu souvent citée, voir carrément oubliée. Plusieurs artistes des (alentours des) années 1970 méritent pourtant une reconnaissance mondiale. Sans rentrer dans une véritable analyse des mouvements musicaux de l’époque, il faudrait pour cela connaître la culture japonaise bien mieux que ce que je la connais, cet article a pour vocation de dresser le portrait dans quelques albums qu’il serait criminel de n’avoir jamais essayé.
J’exclus de cet article tous les groupes de reprises qui chantaient les classiques de l’époque en langue anglaise. Et ils sont nombreux. L’arrivée des Beatles, par exemple, aura poussé à la création de nombreuses formations. J’exclus également tout le mouvement de “harsh noise”, les Keiji Haino & co… (écoutez, la raison est évidente). Notons, enfin, qu’il s’agit d’un volume 1, à tendance pop/bedroom pop/pop expérimentale. Un deuxième volume plus rock’n’roll verra le jour. On y trouvera du stoner, du kautrock (déjà) et du rock psychédélique. D’ici là, bienvenue dans l’univers de la musique japonaise.


Jacks

(Velvet Underground lovers)

Les Jacks forment l’un des groupes les plus légendaires de l’histoire du pays. Auteur d’un seul et unique album, Vacant World, il est une sorte de réponse à la pop expérimentale des Velvet Underground. 
Mariane“, le premier morceau, forme une entrée grandiloquente dans l’univers des Jacks. Le groupe déconstruit sa musique avec une constance qui force le respect. Vient alors “Stop the Clock“, une berceuse qu’il faut du temps avant de s’approprier. Ah, si seulement nos voisins pouvaient jouer ce morceau plutôt que leur è§(§çà)à*%$`ù. On attaque le trio magique avec “Gloomy Flower“. Ce morceau porte magnifiquement son nom. Les deux guitares des Jacks se répondent sans fin et Yoshio Hayakawa tangue entre poésie et beat plus hargneux. “Love Generation” renforce le ton, les Jacks sont plus rock’n’roll que jamais. Ce genre de titre, absolument inimitable, est nécessairement une immense découverte pour qui l’écoute pour la première fois. Ecoutez le son de la guitare sur ses petites échappées… 
Et puis, “Hara-Manji” vient clore cette magnifique phase. Ce titre, le meilleur de tout l’album, est une véritable démonstration de ce que la musique la plus recherchée peut également être instinctive. Les cris de Yoshio Hayakawa ne font que renforcer l’impression d’impossible. C’est une expérience nouvelle que l’on ne retrouve chez aucun groupe. Ne vous y trompez pas, l’album détient encore quelques secrets bien cachés. “Where“, un titre étonnamment groovy, vient par exemple animer nos soirées dansantes en kimono. Et puis, citons “Love“, une ballade qui me sert de parfaite transition vers notre artiste suivant, Haruomi Hosono. 
(mp3) Jacks – Hara-Manji (1968)


Happy End
(Neil Young lovers)
Happy End est le groupe le plus folk de cet article, peut être le plus Neil Young. Ce groupe faisait également preuve d’une maitrise pop tout à fait remarquable. Son premier album paraît en 1970. On tombe rapidement sur “はっぴいえんど” (qui veut dire.. ??!), sorte de marche militaire folk déjà dantesque. L’autre chef d’œuvre de cet album, c’est ““, le petit dernier. La bedroom folk du groupe est tout en tendresse. Entre-temps, il y a plusieurs ballades qui rappellent le bluesy-pop américain, voir “かくれんぼ“. 
Son deuxième album est moins minimaliste, et pourtant tout aussi réussi. Paru en 1971 (et traduit Wind City Romance), il restera comme l’un des plus grands concepts-albums du pays. Happy End y dépeind Tokyo avant les Jeux Olympiques de 1964. Les titres racontent un thriller où un détective mène l’enquête. On retient la présence de “風をあつめて“, l’un de ses titres les plus pop et aussi l’un des plus réussis. “はいからはくち” expérimente plus volontiers avant de se lancer sur du rock’n’roll classique. “颱風” reprend ses quartiers dans le pays de Neil Young. Les solos de guitare sont légion. 
Le troisième et dernier album du groupe est paru en 1973. Moins rock’n’roll, il est également moins convaincant. Il convient toutefois de ne pas négliger ses aspects dansants, voir “さよなら通り3番地“. On retrouve “相合傘” (ça parle de sapins ?), un morceau rieur et enjoué. “田舎道” fait un genre similaire, loin de la country de ses débuts, mais toujours aussi teinté de musique américaine. 


Haruomi Hosono

(Nick Drake lovers)
Haruomi Hosono est un indispensable de toute bibliothèque musicale japonaise, assurément mon nom artiste préféré du pays. Son premier album, Hosono House (1973), est un véritable hit, un album de pop comme il s’en est peu fait. On retrouve la même douceur que sur l’album des Jacks, une sorte de filtre romantique qui tend à idéaliser cette génération. 
Si l’ensemble des morceaux de cet album mérite votre attention, quelques-uns sortent néanmoins du lot. Le premier, pour commencer dans l’ordre, est déjà un petit exploit à lui seul. “Rock-a-bye My Baby” n’a rien de rock’n’roll, mais l’on comprend pour la première fois qu’Haruomi Hosono a la grâce de Nick Drake. “Boku wa chotto“, le petit deuxième, un morceau plus rythmé qui s’apparente à une sorte de ballade surf, au final fidèle à la bedroom pop de cet LP. 
Avec “Choo-choo gatagoto“, Haruomi Hosono délivre un morceau plus rieur, preuve, une fois encore, que les plus grands albums sont ceux qui se prennent le moins au sérieux. “Fuyu-goe” perpétue la même ambiance. Et puis, vient “Party“, un titre qui semble plus proche de la folk que les précédents. Le travail studio est remarquable. Je serai curieux de savoir ce que donnerait “Fuku wa uchi, oni wa soto” en fond sonore d’une piste de dance avec mille personnes. Relevons pour finir l’excellence de “Bara to yaju“, un titre de funk-folk (oui).


Plaisirs dansants

Ce premier volume pop mérite, tout de même, quelques autres morceaux dansants. Deux artistes retiendront notre attention. Le premier, c’est Eiichi Ohtaki avec un album du début des années ’80 (A Long Vacation) où l’on trouve de nombreuses partitions kitsch (voir “Velvet Motel“), quelques pop dansantes et planantes à la fois (voir “カナリア諸島にて“, je vous laisse traduire), des esquisses de power pop (“我が心のピンボール”, la traduction sera plus aisée…)… Et puis, l’album fait aussi dans le mélodramatique, style “スピーチ・バルーン“. C’est varié, c’est fun, c’est un album à écouter de nombreuses fois.

Le deuxième artiste est Tatsuro Yamashita. Son album Space parait en 1977 et l’on rentre dedans avec “素敵な午後は“. Et puis, “Candy” nous montre son meilleur visage. Il s’agit certes du titre le moins dansant de cet LP a proprement parler, mais quelle parfaite partition pour un slow. “Dancer” a des couleurs plus fluorescentes. Ses allures funk et ses cuivres forment un petit plaisir pour tous ceux en mal d’un peu de réconfort. C’est kitsch, terriblement kitsch, mais aussi terriblement bon. Enfin, il est curieux de constater que les meilleurs titres de cet album sont les plus apaisés. “言えなかった言葉を“, à titre d’exemple, brille par la richesse de ses arrangements.

(mp3) Tatsuro Yamashita – Candy (1977)

Liens afférents :
Article sur J.J. Cale
Article sur Nick Drake

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