Oh Sees: pourquoi Smote Reverser fonctionne

Oh Sees. Revoilà le groupe le plus mythique de ces 20 dernières années. Revoilà notre père à tous qui n’est pas aux cieux. Où, l’est-il ?

J’avais développé une “théorie du laid” à l’occasion de ma dernière chronique sur les Oh Sees. C’était avant que je ne voie la pochette de Smote Reverser, mais en réalité, cet album est bien plus esthétique que l’avant-dernier. Ou du moins a-t-il une esthétique très clairement définie, ce qui causera d’énormes dissensions, mais ce qui a le mérite de pousser à une écoute très attentive des morceaux qu’il contient. 

Mais promis, cette fois-ci, je vais essayer de ne pas être trop long. Permettez-moi de débuter avec six constats avant de rentrer dans le vif du sujet :

  • Le premier constat, c’est que la maquette de cet album est super mal foutue. Tout débute véritablement avec “Anthemic Aggressor” (je vais y revenir), bien que les morceaux qui le précédent ne soient pas sans intérêt. Ce titre aurait dû introduire l’album, pour des raisons que je tente d’expliquer. 

    • Le deuxième constat, c’est sa drôle de production. Le son de la guitare emporte tout l’album à chaque fois qu’il apparaît, tandis que les autres passages instru’ sont mous. Mais j’en reviens d’ores et déjà à la guitare : Dwyer déniche des sons que l’on n’a jamais entendus auparavant, et ça, c’est HUGE.

    • Le troisième constat immédiat, c’est que les Oh Sees ne sont pas devenus un groupe de métal, John Dieu merci. Les Oh Sees sont les pères fondateurs du stoner psyché, une étiquette que certains aiment leur contester au motif que le stoner devrait forcément se rapprocher des merdes de doom. 

    • Le quatrième constat, c’est que plus que jamais, les Oh sees semblent faire un doigt d’honneur à tout ce qui semble s’approcher de trop près d’une mélodie. Oh, il y a bien quelques boucles par-ci par-là, mais plus que jamais, les Oh Sees veulent nous entrainer dans un drôle de mouvement : le psyché d’ambiance qui n’oublie pas ses racines stoner (on y revient).

    • Le cinquième constat, c’est que cet album est timide. Le titre original de mon article était d’ailleurs “Oh Sees: Oh le timide !”. Dwyer veut intégrer de nombreux éléments de ses autres groupes. Ça fonctionne de façon très bancale, du moins en ce qui concerne la première partie.

    • Le sixième et dernier constat, c’est que cet album fonctionne. Certains s’écoutent, d’autres performent ou se regardent. Lui, il fonctionne. Je tente également d’expliquer pourquoi.

    Le premier morceau, “Smote Reverser“, illustre déjà à quel point cet album est dépouillé. L’opposition entre le son ici développé et la pochette, pleine de couleurs et de fioritures, est absolument implacable. Il y a quelques éléments de musique d’ambiance que Dwyer va disséminer tout au long de cet album. “Sentient Oona” enchaine dans une atmosphère semblable. Le morceau a deux vitesses ce qui produit bien entendu son petit effet sans pour autant nous transcender. “Enrique El Cobrador” est un premier pas vers l’explosion qui nous attend plus tard. Le son est apocalyptique. On reconnait la guitare des Oh Sees pour la première fois. Vient alors “C“, un morceau savoureux mais qui manque le coche. Un peu comme les titres de Orc, il semble ne pas entièrement s’assumer. On comprend bien que Dwyer veut effleurer quelques accords jazzy, mais c’est trop timoré pour nous convaincre pleinement.

    Assez étonnamment, “Overthrown” est mou, lui aussi. Il faut attendre la guitare de Dwyer pour que le titre ne prenne son envol, mais je peine encore à distinguer ce qui pourra faire de lui un titre meilleur que ceux de Carrion Crawler, dans un genre similaire. Et le même constat doit être fait pour “Last Peace“, du moins pour sa première moitié. Les Oh Sees en oublient leur délire psychés pour laisser place à un morceau plus contrôlé à la OCS. Les choses se compliquent ensuite pour le meilleur. Et c’est, me semble-t-il, ce que l’on attend des Oh Sees : des grandes gifles psychédéliques et brutales. Cela ne l’empêche d’ailleurs en rien d’intégrer quelques éléments venus d’ailleurs, ce qu’il fait ici à la 6ème minute.

    Moon Bog” vient clore la première face de cet album avec les chuchotements que l’on connait bien. La production est très étrange, et une fois encore, la guitare vient sauver le tout à mi-chemin. Cette fois-ci, elle dégage des sonorités que je n’avais jamais eu l’occasion d’approcher, je ne peux donc que la remercier.
    Anthemic Aggressor” met à profit les deux batteurs du groupe, mais c’est surtout la guitare qui donne à entendre un véritable cas d’école. Les Oh Sees nous sortent complètement de ce qu’il peut y avoir d’humain dans leur musique. Ils nous font ce qu’ils font en live. Ils nous sortent de nos enveloppes corporelles, c’est ici que se fait la mutation. Alors que les premiers titres de cet album nous semblent étrangers, extra-terrestres par moment, on rejoint ici la clique des body snatchers. Ce titre aurait dû intervenir plus tôt.

    Le reste est logiquement bien meilleur.

    Abysmal Urn“, par exemple, nous fait volontiers accepter ses envies de speed. Cette seconde moitié de l’album assume enfin sa différence. Les titres sont robustes. Twins de Ty Segall procède de la même façon. Preuve en est avec “Nail House Needle Boys“, un morceau qui pourrait s’apparenter aux premiers – ambianceur de rave party – mais qui ne mime pas les explosions Oh Sees pour arriver à son but.
    Flies Bump Against The Glass” n’aurait probablement pas fait sens avant “Anthemic Aggressor“, mais maintenant que nous sommes agressés, on ne peut que jouir de cette guitare qui mimique “The Axis“. “Beat Quest“, pour conclure, semble vouloir boucler la boucle avec un son volontairement très proche de Star Trek (mais si, on entend un vaisseau). Quel final !

    Au final, cet album est-il meilleur que ce que font 99% du reste de la scène ? Pour sur. Est-il meilleur que Mutilator Defeated At Last et A Weird Exits ? Assurément pas. Sa première partie est bien trop timide pour ça. Dwyer a intégré de nombreuses influences, ainsi trouve-t-on des trâces de OCS et de Damaged Bug par exemple. L’intention est excellente, le résultat est plus mitigé. Smote Reverser semble être condamné à hésiter, et entre toutes ces directions, les Oh Sees en oublient parfois d’être psychés, ou du moins, semi-psychés. Le psych-punk qui le décrit si bien est mis de côté, quoi. Le fun aussi. That’s right, Smote Reverser est très sérieux. Le rire est totalement absent de l’équation. Dwyer nous avait habitué à jouir, il est ici austère et ataraxique. Cela laisse toute la place à la guitare qui, finalement avec “Anthemic Aggressor“, envoi cet LP dans une autre galaxie.

    Smote Reverser est alors à John Dwyer ce que Emotional Mugger est à Ty Segall. Il va ailleurs, il est fait d’acier et de froideur, il fonctionne. C’est, me semble-t-il, le mot qui le décrit le mieux. Smote Reverser fonctionne comme une machine fonctionne. Il fonctionne comme un robot qui tient debout. Il fonctionne comme une belle mécanique qui est mise à l’épreuve de l’humain. John Dwyer a toujours eu des ailleurs d’aliens, une apparence qui semble défier les lois du temps ainsi qu’une adrénaline qui nous fait nous demander qu’elle est son logiciel. Avec Smote Reverser, l’humain laisse place à ce qui se trouve entre la machine et l’esprit.

    Ah oui, et au fait, pour ceux qui se demandent ce que “Smote” veut dire : c’est ici.

    Tracklist : Smote Reverser (LP, Castle Face, 2018)
    1. Smote Reverser
    2. Sentient Oona

    3. Enrique El Cobrador
    4. C
    5. Overthrown
    6. Last Peace
    7. Moon Bog
    8. Anthemic Aggressor
    9. Abysmal Urn
    10. Nail House Needle Boys
    11. Flies Bump Against The Glass
    12. Beat Quest

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