Oh Sees : Orc, entre laideur et fascination

Thee Oh Sees. Le laid fascine. On le sait depuis les foires aux monstres en passant par Elephant Man jusqu’à Donald Trump, et John Dwyer semblerait l’avoir compris. Cette pochette est moche. Et Thee Oh Sees sans le Thee, c’est moche, aussi.
Le groupe s’est hissé à la première place des meilleurs albums Still in Rock de 2015 et 2016. Pour la première fois, une formation parvenait à réaliser le doublé. Ty Segall en est loin. King Gizzard aussi. Tout cela est bien entendu très informel, mais je veux insister sur l’admiration que je porte à ce groupe. J’attendais donc son nouvel album avec une trépidation particulière. Le premier single m’avait que peu convaincu, je le trouvais plutôt laid, lui aussi, comme si Dwyer avait voulu renouer avec ce qu’il avait pu faire sur Floating Coffin, produisant des sons volontairement pénibles et disgracieux.
Mais en réalité, ce que l’on attend d’un album des Oh Sees (me semble-t-il), c’est qu’il dégage une puissance stoner et psychédélique sans pareil. Il n’y a point de notion d’élégance à considérer. John Dwyer n’a jamais été un personnage particulièrement esthétique et sa musique ne s’est jamais distinguée par son aristocratie. Ici, le laid et le beau importent peu, c’est l’une des véritables particularités liées à sa musique. John Dwyer est l’anti-Oscar Wilde, l’anti-esthète, l’anti-eurythmique par excellence.

Il n’en demeure pas moins l’un des plus grands artistes de son temps, ce qui est d’autant plus étonnant que l’art se définit comme étant “l’expression par l’être humain d’un idéal esthétique, d’un sens de l’harmonie ou d’un intérêt pour des recherches formelles ou conceptuelles“. Orc exprime parfaitement cette antinomie.

The Static God” introduit l’album sur ce que l’on connait, de la vitesse, du punch, du grave et sombre. La transition avec le dernier LP est ainsi faite. Mais la frontière entre Oh Sees et Damaged Bug s’est sensiblement réduite, ce que l’on entend déjà sur “Nite Expo” qui amorce une nouvelle direction. Et avant de s’y plonger pleinement, on croise la route de “Animated Violence” qui jouera dans la catégorie des meilleurs titres de 2017. Il jouera, et gagnera peut-être. La boucle qui arrive à la 4ème minute donne une véritable texture à sa musique qui sort ainsi du seul domaine de l’audible. John Dwyer est le seul capable de tels éclats. Il avait produit “Gelatinous Cube” en 2016 – un morceau dans le top 2010’s, le voici avec une nouvelle arme nucléaire, capable à elle seule de ringardiser les psyché seventies qui ambitionnaient pourtant de taper le plus fort possible.
Keys To The Castle” fait du Oh Sees par excellence, Dwyer se fend de quelques cris et la guitare fait des ronds que la batterie supplée à grand renfort de déferlantes stoner. Tout cela vaut pour les 3 premières minutes, avant que le titre ne parte dans une véritable phase expérimentale. Le morceau ne repart jamais, Dwyer joue à fond la carte du morceau hermétique. “Jettison” clôt la première Face de cet album et il en ressort, une fois encore, que l’intention de Damaged Bug n’est plus très loin.

Cadaver Dog” dévie de l’habituel ‘coup-de-poing Oh Sees’ au bénéfice d’un stoner plus seventies – l’orgue – et plus entubé aussi. On notera que la production est quelque peu curieuse dans la mesure où une inversion du lead orgue / guitare aurait permis une dernière boucle beaucoup plus explosive (non ?!) Et “Paranoise” de faire office d’interlude analogue, faisant s’écarter encore un peu plus l’Orc de la route des deux derniers Oh Sees. Suicide n’est plus loin.


Critique de l’album : Mutilated Defeated At Last

Cooling Tower“, c’est la pointe d’espoir dans cet album souvent alarmiste. Le titre est instrumental, la batterie est toujours aussi bonne et il renforce le thème de cet LP. On attaque ainsi les deux derniers morceaux avec l’envie toujours plus forte de se faire violenter. “Drowned Beast” nous susurre pourtant quelques mots bleus à l’oreille. Le story telling fait sens. Le changement de rythme ne vient pas comme c’était le cas avec “The Axis” (souvenir, cliquez).


Critique de l’album : A Weird Exists

Raw Optics“, le dernier, est probablement le morceau de genre le plus abouti de l’album. Et enfin, à la sixième minute, Dwyer nous permet une déflagration. Sa guitare repart en boucle, tendance proto-punk-post-2010′. 

Au final, il serait fou de dire que cet Orc n’est pas réussi. A la différence des deux derniers Oh Sees qui étaient catastrophistes, mais qui suscitaient en nous l’envie de fêter joyeusement la fin du monde, Orc est plus désenchanté. John Dwyer est parfois résigné, l’idée de sauter encore à pieds joints sur le cadavre de la planète terre semble s’être éloignée. Le Gremlins s’est transformé en Rosemary.

Est-il aussi moins évident que les deux derniers ? C’est possible, alors je défendrai aimer l’évidence Oh Sees. Je défendrai aimer l’éclatante laideur d’une fin du monde qui sent bon le souffre. Avec Orc, je la vois au loin, mais je me dis parfois que je la regarde avec trop de distance.

Tracklist : Orc (LP, Castle Face, 2017)
1. The Static God
2. Nite Expo
3. Animated Violence
4. Keys To The Castle
5. Jettison
6. Cadaver Dog
7. Paranoise
8. Cooling Tower
9. Drowned Beast
10. Raw Optics

Liens :

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