Thee Maximators : les malaisants !


Dans ma chronique du nouveau clip des Maximators, j’écris : “on se retrouve rapidement dans la tourmente d’une composition qui suscite en nous des sensations peu explorées. Peut-être est-ce même de l’inconfort. Impossible de rester indifférent à ce morceau, une constatation que je voudrais être plus régulière. Ah, je serais bien tenté de me lancer dans une léthargie sur l’art et l’inconnu, mais j’ai peur d’être devenu trop pompeux” (il se cite). Si je reviens là-dessus, c’est que je voulais néanmoins creuser cette question. 

Je m’en suis donc allé sur le site du CNRS pour lire ce qu’ils avaient à me dire sur le mot inconfort, et je suis tombé sur ce qui suit : “ce qui gêne le bien-être et la tranquillité de l’esprit“. C’était donc ça, cet album est pour moi une marque d’inconfort, ce pour quoi il me fascine. Ils ajoutaient que le malaise né de l’incomplétude que Platon appelait aporia. Ah, Platon ?! Il fallait donc que je creuse encore. Je me suis donc rapidement retrouvé sur l’encyclopædia Universalis qui définit aporia comme “une difficulté qui exige un changement de registre dans la recherche ; les Modernes donnent à ce terme le sens encore plus fort de problème insoluble, d’obstacle insurmontable“. Mais d’ajouter : “Il convient de noter que l’aporie n’est pas un argument ni un raisonnement, mais une situation où peut se trouver l’esprit au cours de sa recherche“. 

Voilà, c’est ça. Non pas que je veuille opposer ici un raisonnement, ni même présenter une argumentation de quelque forme que ce soit ou dire à quel point je trouve l’album des Maximators insurmontable – en réalité, il est non seulement surmontable mais il est, plus encore, tout à fait appropriable – ce qui compte ici n’est pas le résultat, mais bel et bien la démarche à laquelle cet album me confronte. Il me fait rechercher pourquoi il me met mal à l’aise, en dépit de flirter avec une musique que j’aime depuis toujours. 


En réalité, je crois être une victime de tout premier plan de la “tyrannie de la commodité” telle que théorisée par Tim Wu, professeur à l’université de Columbia (New York). Je recherche l’efficience, le plaisir immédiat parce que je suis – comme on l’est tous – pris par le temps. Et puis, je m’évertue à écrire un article Still in Rock / par jour, il faut souvent que j’aille à l’essentiel, qu’à l’essentiel, c’est la limite de l’exercice. Les Maximators me poussent en dehors de ce cadre si confortable. Ils sortent des aspects grungy nineties que je leur connaissais pour aller chercher une haine qui m’était inconnue. 

Il y a en effet une contradiction apparente entre la musique des Maxi et ses deux principaux protagonistes – Arsène et Hugo. On peut se questionner : comment deux êtres que l’on peut aimer peuvent-ils créer une musique à ce point inquiétante, glaciale, malaisante ? Que ne nous ont-ils pas dit ? Est-ce notre faute de ne pas l’avoir vu ? Est-il trop tard ? Ces questions causent cet inconfort qui m’émeut. En réalité, je sais seulement répondre à la dernière question : assurément pas. Dust Damages, avec ses défauts, ses passages qui sont trop, son manque de tact parfois constaté et ses bourineries, est un album plus doux qu’il n’y paraît, parce qu’il veut créer du lien avec nous, nous dire que l’entente est encore possible. Si elle ne l’était plus, le groupe serait ailleurs.


Daily Lazy“, c’est l’histoire d’une voix spectrale qui rencontre une musique d’acier. C’est, finalement, l’histoire de cet album. Arsène n’a jamais été aussi expressif. Déjà, ses nombreuses variations viennent nous dire ce que l’on doit savoir de Dust Damages : garder-vous d’y coller les schémas que l’on ne connait que trop bien. Galaxy” – à la production étrange – complète le duo introductif sur des notes que l’on connait de la scène. 

Silicon Nightmares“, c’est ce que les Maxi savent faire de mieux d’un strict point de vue musical. Et lyrique. Le presque post-2001 que l’on y trouve fait des Maxi les leaders d’une fête géante, les corps semblent se froter tandis que les visages ont été remplacées par des têtes d’animaux empaillés, il n’est pas besoin de long solos ou de stonegaze pour tomber dans le psychédélique. Emergency” complète la face A de cet album. C’est le single. Le premier inconfort, le patient 0.
Jet Set Ladies” serait le titre le plus complet de cet album qu’il n’aurait pas voler la palme du titre lance-flamme. Thee Maximators sait comment foutre le feu à la poubelle de tes voisins par une opération de télékinésie. Et toujours cette danse spectrale semble prendre forme en fond sonore. “Cactus” fait dans l’indie rock façon 2005, délaissant quelque peu le psych death du groupe. La pop lui va bien. Et puis, avec Honey“, Thee Maximators vient de s’allonger avec délices aux creux vert sombre d’un fauteuil, auprès d’une table enjolivée de ciselures et d’arabesques, en dessous d’une nature morte peint avec la précision des jours brumeux.

Secret Heroes“, c’est le genre de morceau que le groupe taille pour les lives. Il déconstruit la scène stoner. Il déconstruit le nineties que l’on connait, bien qu’il s’en approche parfois, il déconstruit le besoin de mélodies dans un élan proche de la scène straight edge, il déconstruit Black Sabbath, il déconstruit sa propre image. Et finalement, cet album s’inscrit dans la lignée des opus qui ne visent pas le single. Cette culture du single que j’aime dénoncer (voir interview avec Bret Easton Ellis) semble avoir pris le pas – sur moi y compris – et je me félicite que deux (quatre) artistes puissent encore viser une cohérence sans que cela ne soit trop prétentieux.


Au final, Thee Maximators ne sort pas le grand jeu, il tue le jeu. La production de Pierre, très en-dedans, fait que cet album ne percute pas mais qu’il cogne avec tendresse. C’est très bien fait, à l’image des Maxi. Vous l’aurez donc compris, point d’uppercut dans Dust Damages, mais des dizaines d’overcuts qui finissent par nous mettre à terre. Nous croyons à la propagande qui dit le 93 être un endroit chaleureux ? Détrompons-nous, le froid qui y reigne est encapsulé dans cet album qui fera naître des vocations. Il est en effet l’exact opposé d’un pain killer, ce qui créera nécessairement des réactions.

Et une dernière fois, comment ne pas me réjouir lorsque je croise le chemin d’une oeuvre qui me questionnent à ce point. Je ne suis toujours pas certain de la comprendre, elle sonne un désenchantement dans lequel je me complais, parce que la décadence a parfois ses attraits. Et en attendant que je sois en mesure d’y apporter quelques réponses, si l’on vient me dire que, de toute façon, le mot “malaisant” qui titre cet article n’existe pas, je répondrai : “va voir la dame en noire et fuck off“.

(mp3) Thee Maximators – Jet Set Ladies
(mp3) Thee Maximators – Silicon Nightmares

Release party de l’album CE SOIR
9 mai 2018 à l’Espace B

Tracklist : Dust Damages (LP, Black Totem Records, 2018)
1. Daily Lazy
2. Galaxy
3. Silicon Nightmares
4. Emergency
5. Jet Set Ladies
6. Cactus
7. Honey
8. Secret Heroes

Liens :
Article sur l’album Hour Glass des Maximators
Article sur la vidéo du single “Emergency” de cet album

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