Thigh Master : Down Under the 90’s

J’ai coutume de garder les très bons albums pour le vendredi afin qu’ils restent en tête d’affiche pendant trois jours. Cette semaine a été chamboulée par la parution du nouveau Dr Chan que je devais publier lundi pour des raisons d’arrangement avec son label, mais j’avais encore Fidlar et Meatbodies à me mettre sous la main. Seulement voilà, le groupe du jour me semble être bien meilleur, ou, à tout le moins, il me semble produire une musique bien plus intéressante, raison expliquant pourquoi je publie cet article aujourd’hui.

Thigh Master est un groupe originaire de Brisbane (Australie) qui a fait paraître son premier album, Early Times, en octobre dernier. Je regrette de ne pas avoir mis la main dessus il y a plusieurs mois car cet LP aurait mérité bien des louanges au moment des classements de fin d’année. Paru Coolin’ By Sound & Bruit Direct Disques, il se compose de 13 morceaux qui flirtent entre un rock assez garage, un punk plutôt cathartique qui serait un cousin éloigné de Naomi Punk, et puis, aussi, avec Pavement. Thigh Master est éloigné des clichés du groupe australien avec lesquelles Dune Rats semble décidé à jouer pour le restant de ses jours. Il y a un côté grave dans sa musique qu’il contrebalance avec des paroles un brin slacker et une façon de délivrer ses textes qui est assurément nonchalante. Le tout fonctionne à la perfection, les titres de ce Early Times sont tous réussis, comme dirait Donald Trump : boom

L’album est introduit par “Ditch“. Le son cathartique de la guitare arrive très rapidement tandis que la voix vient rappeler l’esprit nineties avec quelques passages en force dans un style pseudo-grungy qui va si bien au groupe. “Rics B.C.” prend alors le relais et l’on comprend que Thigh Master ne laisserait pas tomber sa formule magique en cours de route : la guitare est toujours aussi discontinue – hachée aux groupes 90′ – alors que la partie vocale a pour elle cette scène Audacity-esque que l’on vénère tant sur Still in Rock. “Company” complète le trio introductif, avec punk et détachement à la “Stereo“. Le son crunchy de la guitare y est pour beaucoup dans le rappel de la scène de Pavement, chemises à carreaux, t-shirt XL de Jurassic Park et jean pourri sur les jambes. On se croirait dans la bande-son de Clerks
Room Doom” est plus fouillé, il y a comme du Silver Jews dans l’air. Le passage intru’ qui vient le ponctuer avec une petite merveille de post-2001. “Canned Opening” est un nouveau signe du côté slacker de cet album, des paroles qui sont volontairement sans intérêt mais chantées avec une fausse application qui les rend “flaccid”. Thigh Master poursuit alors avec son “Hippie View” d’à peine plus d’une minute, façon Robert Pollard. Ce titre, probablement le plus punk de tout l’album, arrive au meilleur moment, comme pour nous donner le petit coup de fouet (hmm) que le ventre mou de cet LP demandait. “Treehouse A.P.” clôt enfin la première face dans un style assez australien, accès mis en avant et son de batterie high school.


Whiplash“, outre le fait d’être un excellent film, est aussi la reprise Thigh Master qui assure ses interludes avec maitrise. Le refrain, sans crier garde, est une nouvelle démonstration de la maitrise du groupe qui n’hésite pas à afficher son amour pour Crooked Rain, Crooked Rain. “Brunno Brawl“, plus noirâtre, va presque chercher du côté de Built to Spill pour le côté sans espoir et aride de sa musique. Une fois encore, la partie vocale renforce l’intensité du morceau, Wu Lyf peut aller se rhabiller. Arriver à maintenir l’attention de son auditeur pendant un si long laps de temps est un véritable fait d’armes. 
Vient alors “D.D.“, un des hits de cet album, plus enjoué que les autres parce que plus post-2001, dans la lignée d’un Is This It? qui ne semble jamais en finir d’imposer son influence sur la scène mondiale. On n’est pas dans la peau de John Malkovich, mais on est pas loin de celle d’un rockeur New Yorkais inspiré par le groupe Television. “Baroona” prend le relais, avec moins d’entrain, mais un côté plus réfléchi qui a longtemps inspiré les groupes de rock expérimental – une espèce aujourd’hui disparue. “Hassa Been” fait office de petite interlude et “Flat City” conclut ce magnifique album en bouclant la boucle. Proche du son de “Ditch“, le premier titre de cet LP, il rappelle une dernière fois que cette production – 10% noisy, 50% grungy et 40% j’men tape de ton avis – est un win-win.


Au final, Early Times fait un quasi sans faute, une petite prouesse comme on en trouve peu. L’album ne parle jamais d’amour – c’est rare – mais on ne peut s’empêcher de penser qu’il a été composé pour Winona Ryder qui observerait le groupe en train de transpirer sur scène, bien cachée dans le fond du bar avec un petit verre de whisky à la main. Trop nineties – sans pour autant pomper l’époque – pour échapper à Reality Bites, Thigh Master a fait de son Early Times l’un des plus beaux hommages à cette époque révolue du cool nonchalant – et sans calcul. 
Et ce n’est pas tout, car il serait dommage de cantonner Early Times à ce seul aspect revival. L’album propose d’excellentes mélodies pour chacun de ses titres. Sa réalisation est irréprochable, il y a un superbe équilibre entre le côté heurté de la guitare plutôt crunchy, la voix parfois volontairement forcée et la façon d’écrire des morceaux qui rappelle ce mouvement post-2001 / post-Strokes. En bref, Thigh Master fait le pont entre 90′ et 2000′, une sorte de chainon manquait qui se fera peut-être trop discret mais qui est en tout point bluffant. Ce serait Parquet Courts qui l’aurait composé que la presse entière crierait au génie. Il ne reste désormais à Thigh Master qu’à se faire un nom comparable. Ça viendra, il le faut ! 

(mp3) Thigh Master – Ditch
(mp3) Thigh Master – Compagny

Tracklist :
1. Ditch
2. Rics B.C.
3. Company
4. Room Doom
5. Canned Opening
6. Hippie View
7. Treehouse A.P.
8. Whiplash
9. Brunno Brawl
10. D.D.
11. Baroona
12. Hassa Been
13. Flat City

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