La dernière fois que j’écrivais sur les Shifters, j’en faisais le fer de lance de la scène “post-skate” que je créais d’ailleurs de toute pièce. Alors que je prépare un article entièrement dédié au genre, je ne pourrai résister à l’envie de distiller quelques analyses sur le genre. Et pour cause, les Shifters forment un groupe australien qui a résisté à la tentation slacker au profit d’une musique plus bubblegum-punk-ish, ce que je qualifie donc de post-skate, parce que le mot “post” fait cool et que le mot “skate” fait cool (aussi). Et que les Shifters sont cool.

Je disais donc attendre non sans impatience le nouvel album du groupe. Il fait suite à un premier essai paru en 2015 via Comfort 35, un “small-run exotic cassette releases. Based out of Melbourne, Australia”. Cette fois-ci, the Shifters ont monté en grade. Trouble In Mind est devenu son label et je ne doute pas, dès lors, que les webzines cool – du genre qui savent beaucoup sur très peu (et qui aiment bien les insultes) – se saisiront du sujet. Ils balanceront une référence aux Parquet Courts et le tour sera joué, parce que les Shifters vont bientôt participer de la popularité de ceux qui en parlent. Surement est-ce très bien ainsi. Après tout, tous les prétextes sont bons pour que la bonne musique soit largement discutée.

Pour ma part, je dois m’avouer partiellement déçu par cet album. Non pas qu’il ne soit pas bon, mais je croyais les Shifters capables d’un véritable coup de massue sur l’ensemble de la scène. Avec Have A Cunning Plan, il s’inscrit dans la lignée de plusieurs autres LPs sans proposer ni même vouloir une véritable révolution. Le clavier y est pour beaucoup. Faisant office de fond sonore pendant une large partie de l’album, il est finalement peu inventif et crée une brève sensation de bouillie (voir “Carlisle“). Lorsqu’il disparait, ou qu’il est plus saccadé, les Shifters retrouvent alors toute la vivacité de leurs débuts. J’en veux pour exemple “Medieval Kicks!“. On se prépare alors pour Halloween et les Shifters font ici ce qu’aucun autre groupe ne fait actuellement.

Mais revenons-en aux débuts. L’album est introduit par “Molasses” qui, dès les 20 premières secondes, donnent le ton de cet LP. Les Shifters ont pris un virage creepy-bande-son-de-Dracula qui, ma foi, pourrait détonner avec ses envies post-skate. Ce titre est agréablement rythmé, mais il fait pâle figure aux côtés de”Work/Life, Gym Etc” qui aura sa place parmi les anthologies post-skate. Il est bouncy à la façon des Replacements (“I Will Dare“), il est rock’n’roll et ses paroles ne parlent ni de bières, ni d’être flemmard, ni de faire la fête : il est donc post-skate (voyez !).

John Doe’s Colleague” est le petit troisième. Il est dépouillé, c’est avant que ne viennent les partitions d’orgue. Il est assurément efficace. Il rappelle la scène anglaise de la fin des 70s, du côté de Satan’s Rats. Yes, je tiens là une autre caractéristique de la musique post-skate : il se pourrait bien qu’elle soit plus anglaise qu’américaine. J’ai ensuite adressé le cas “Carlisle” ainsi que la puissance série B de “Medieval Kicks!“. Le premier est “meh” tandis que le second est “wow” !


Pyramid Scheme” joue le titre plus expérimental, une excellente idée qui n’est pas entièrement exploitée. Alors on enchaine avec “Straight Lines“, mais lui aussi semble en deçà du niveau des Shifters. Il est facile, trop facile. Et toujours cet orgue qui vient l’attendrir. Et ce chorus qui n’apporte pas grand-chose si ce n’est de mimer les titres de Ian Dury et/ou de Television Personnalities. Quant à “Boer Hymn“, il est effectivement punk UK, mais il va trop vite pour que l’on puisse se l’approprier.


How Long?” me fait la même sensation. Le titre tire méchamment sur de la pop alors que je m’attendais à un album clairement incisif. “Andrew Bolt” est-il différent ? Pour sur. The Shifters se départit de ses envies de soleil et de pop propre sur elle. On n’attend clairement pas des Shifters qu’ils jouent aux bad boys, mais le fait est que l’on se demande ici dans quelle mesure ils ne pourraient pas a minima envoyer bouler tous ceux qui s’approchent de trop près de son terrain de jeu. Sur “Andrew Bolt“, les Shifters semblent plus amers, et ça leur va bien.


Au final, Have A Cunning Plan est une franche réussite sans être l’exploit que j’attendais. Seeing Green (du groupe Dumb) est bien meilleur, dans un genre plutôt proche. Or, je ne peux me départir de l’idée que les Shifters ont la carrure d’un leader. J’attends donc le prochain essai avec impatience, parce que celui-ci est très clairement divisé en deux parties – les titres légers et les titres coup-de-poing – et que la seconde est la seule à faire véritablement sens. Ainsi “Work/Life, Gym Etc”, “John Doe’s Colleague“, “Medieval Kicks!” et “Andrew Bolt” sont-ils parmi les meilleurs titres de 2018.

Quoi qu’il en soit, cet album participe de la définition du post-skate, et ça, c’est déjà une énorme chose. Il ne nous a pas laissé tomber, alors mes amis Shifters, pour ça et pour le reste merci !


(mp3) The Shifters – Medieval Kicks!
(mp3) The Shifters – Work/Life, Gym Etc


Tracklist : Have A Cunning Plan (LP, Trouble in Mind, 2018)
1. Molasses
2. Work/Life, Gym Etc
3. John Doe’s Colleague
4. Carlisle
5. Medieval Kicks!
6. Pyramid Scheme
7. Straight Lines
8. Boer Hymn
9. How Long?
10. Andrew Bolt

Liens :
Article sur le premier single du groupe
Article sur le groupe Television Personnalities

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