Sheer Mag : le mainstream underground

Je me souviens avoir passé de longues soirées à débattre de ce qui est mainstream et de ce qui ne l’est pas. Le rédac’ chef de Roads Magazine – que je salue délicatement 😉 – défendait que des groupes comme Fidlar et Ty Segall étaient mainstream sans l’être, parce qu’inconnus du grand public… ce qui est vrai ! Je disais, à l’inverse, qu’une partie de la population est de toute façon perdue et ne serait jamais attirée du côté underground de la force. Je considérais, dès lors, que les Strokes faisaient partie du patrimoine commun de la scène indépendante et que leur musique est mainstream (à notre niveau), sans que cela ne retire rien de son génie.

Si j’évoque ces vieilles discussions aujourd’hui, c’est que Sheer Mag pose la question de ce qui est indépendant et de ce qui ne l’est pas. A l’évidence, le groupe est prisé de la scène des connaisseurs et il est très peu probable qu’il se retrouve bientôt sur les télévisions du monde entier. Dire que Sheer Mag est mainstream serait donc faux. Il n’en demeure pas moins que sa musique, en s’inscrivant en plein dans celle des Strokes, nous est familière dès les premières secondes, et ainsi, très facile d’accès. Cela n’enlève rien non plus à la force de ses morceaux – au contraire – mais il faut reconnaître le fait que Sheer Mag ne fera pas partie de ces formations innovantes qui nous pousseront vers quelque chose de nouveau. Il faut donc se concentrer sur les hits, Sheer Mag s’écoute comme cela – à mon sens !

Avec Need to Feel Your Love, son premier album studio, Sheer Mag perpétue la lancé qu’il avait entrepris sur ses premiers EPs : on est en plein dans du post-2001, à l’époque où les Strokes s’inspirent de Television pour relancer la scène rock’n’roll New Yorkaise. En conséquence, on écoute la musique de Sheer Mag pour ses nombreux hits, ses dances, ses riffs qui transpirent l’évidence, la voix de Tina Halladay et ses mélodies bubblegum. Dans ce registre, Sheer Mag est le meilleur de tous.

Meet Me In The Street“, comme tous les morceaux qui suivront, fait du Sheer Mag à 100% – et que demander d’autre à un groupe. A dire vrai, il est probablement le titre qui colle le plus au Sheer Mag que nous connaissions déjà. “Need to Feel Your Love” est plus eigthies, on danse dessus comme Blondie dansait dans ses vidéos. 
Just Can’t Get Enough” n’est pas la version singée du grand titre du nom. “Just Can’t Get Enough” est un morceau de Room On Fire de Post 2001 qui excelle encore et toujours dans le genre. Une question se posera rapidement : Sheer Mag sera-t-il suffisamment fort pour créer des vocations et entrainer toute une scène avec lui ? 
Expect The Bayonet” est plus doux que les autres, c’est de la bubblegum 70s que le groupe nous sert sans vergogne. On pense alors aux démos de Milk’n’Cookies qui flirtent entre power pop et punk. Une chose est sure, Sheer Mag a écouté les Speedies autant que les Records ! “Rank And File” ne dévie pas d’un fil – une véritable couturière Chanel cette Tina Halladay – tandis que “Turn It Up” intègre la belle lignée des morceaux à la Dictators – Californiaaa Sun !
Suffer Me“, le premier titre de la face B, est aussi le premier single de cet LP. Il demeure le titre le plus inventif de l’album. Plus que jamais, Sheer Mag fait le pont entre les Strokes et Television, laissant un brin l’influence du premier pour se fondre dans le second. Le clip est irréprochable, il jouera dans la catégorie de meilleure vidéo de 2017 ! Quant à “Pure Desire“, avec sa basse proéminente, il fait penser à du X revisité à la façon d’un groupe de disco. Et quitte à parler de X, notons à quel point la musique de Sheer Mag est faite de luxure.
Until You Find The One” est une pièce étonnante, lo-fi – au milieu de cet album très bien produit. “Milk And Honey“, avec sa mélodie aiguë et ses riffs groovy, fait définitivement tomber Sheer Mag du côté (power) pop de la force. Je ne ferai pas la liste de tous les groupes seventies auquel ce morceau fait référence, notons simplement à quel point Sheer Mag joue bien la chanson d’amour : “In a dream I hear you call my name; We pass like ships in the night; Cut from the vine; Cut like shadows out of time“. Paul Collins sera d’accord avec moi. Les Beat disaient vouloir trouver une “rock’n’roll girl, la voici face à eux !
Can’t Play It Cool” ressert quelque peu les boulons pour rappeler que Sheer Mag n’est pas que mielleux. Et puis, “(Say Goodbye To) Sophie Scholl” nous fait au revoir dans un chorus qui nous tirerait presque les larmes aux yeux. Si Sheer Mag rappelle parfois la force de frappe des Fugazi, cette dernière création joue la carte mélancolique dans un style proche de celui des Flamin’ Groovies.

Il est amusant de constater que Sheer Mag cultive l’image d’un groupe difficilement accessible. Il ne répond pas aux demandes d’interviews – même de magazines papier tirés à plusieurs milliers d’exemplaires – et, paraît-il, déteste être comparé aux Strokes. En fait, Sheer Mag est un groupe indé au sens premier du terme. Sa musique fait pourtant partie de celles qui ont la base la plus large de la scène underground. Son premier LP est une immense réussite, et si on est déjà habitué au son qu’il délivre, il faut noter à quel point aucun autre groupe ne sait aujourd’hui faire ce que fait Sheer Mag.
Et Sheer Mag fait parler, il fait danser et il fait sourire. Ce monde de bisounours nous va bien. Son rock est gentil et il est fait pour les gentils. Sans jamais tomber dans le slacker, Sheer Mag trouve la formule pour nous faire rire. J’en reviens une fois encore à la conclusion de Hermann Hesse dans le Loup des steppes, “tu apprendras encore à rire comme les immortels“. Sheer Mag fait partie de nos instructeurs. 
Tracklist : Need to Feel Your Love (LP, Wilsuns Recording Company, 2017)

1. Meet Me In The Street
2. Need to Feel Your Love
3. Just Can’t Get Enough
4. Expect The Bayonet
5. Rank And File
6. Turn It Up
7. Suffer Me
8. Pure Desire
9. Until You Find The One
10. Milk And Honey
11. Can’t Play It Cool
12. (Say Goodbye To) Sophie Scholl

Liens :
Article sur la compilation de Sheer Mag
Lien vers tous les groupes Post 2001

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