Anachronique : Jackson C. Frank (Folk)


Jackson C. Frank. C’était il y a 50 ans. Jackson C. Frank, c’est un destin tragique. Victime d’un accident alors qu’il était à l’école, il s’en sortira de justesse, le corps marqué à vie. La grande majorité de ses camarades y laisseront leur vie. De quoi forger une âme. C’est avec le chèque qu’il recevra de son assurance durant sa 22ème année qu’il décidera de s’exiler à Londres. Il y rencontrera Paul Simon, qui l’aidera à exprimer tout son talent. Un album naitra de cette collaboration. Jackson C. Frank abandonnera ensuite les studios pour retourner à une vie de bohème. Cet album, son album, sera cependant repris par de très grands noms de la scène, dont Bert Jansch et Nick Drake. Paul Simon sera le producteur, Al Stewart et Art Garfunkel seront de l’enregistrement, 
Souvent associé à la vague d’explosion Folk des années ‘1960, Jackson C. Frank est un artiste emblématique de cette période, à bien des égards. Sa musique est faite du plus simple appareil : une guitare, une voix, rien de plus. Ses textes sont de véritables modèles du genre, sorte de poèmes qui font ressortir toute la solitude de ces années. 
Self-titled, son seul et unique album est aujourd’hui le témoignage le plus fidèle de ce qu’était le génie de Jackson C. Frank. Il paraîtrait qu’une session Peel enregistrée 1968 doive bientôt voir le jour en vinyle. Freakfolk lovers, soyez-prêt, il n’y en aura pas pour tout le monde. Et d’ici là, on se délectera encore de ce seul album studio. 
Blues Run The Game“, c’est un peu Le hit de Jackson C. Frank, à sa façon. C’est également le premier titre de son album, déjà un chef d’oeuvre. “Yellow Walls” marque par un son de basse qui donne le répondant à une guitare plutôt guillerette. “Here Come The Blues” parle de lui même. La musique de Jackson C. Frank est issue de la grande période du blues, celle des débuts de Clapton, du John Lee Hocker, mais aussi, de façon plus probante, de Lightnin’ Hopkins. Ce blues de Jackson C. Frank est très doux, il rappelle les grandes envolées qui inspireront tant d’artistes. Combien de notes Bob Dylan a-t-il emprunté ? 
Vient ensuite la grande tristesse de “Milk And Honey“. Le titre est difficile à écouter. On serait tenté de se précipiter vers le prochain. Et pourtant, introduit sur une sorte de haïkaï, “gold and silver, is the autumn“, Jackson C. Frank nous donne là de quoi nous enfouir dans de longues et belles pensées. Aussi, qu’entendait-il par “My Name Is Carnival” ? La fausseté du monde qui l’entourait ? Je passerai sur l’évidence de “I Want To Be Alone (Dialogue)” et “You Never Wanted Me” pour rebondir sur un titre complexe, “Just Like Anything“. Nouvelle expression de la gravité de l’artiste, ce morceau est celui du désenchantement. ‘Death gives no reason, So why should I’.  
Marquons une pause, et relevons, avant de traverser plus encore les quelques morceaux restant, à quel point la musique de Jackson C. Frank sait éviter toute prétention. C’est pourtant un défaut avec lequel l’artiste a flirté tout au long de l’enregistrement de cet album. Miser son travail artistique sur sa voix est certes très courageux, mais le m’as-tu-vu prend parfois souvent le pas, au risque de n’orienter l’aspect créatif que sur cette seule feature. Et pourtant, Jackson C. Frank, à l’unanimité, présente un album dont l’humilité sert de modèle. Dur de déterminer quel est son secret. De façon certaine, on se réfère à des paroles très personnelles qui semblent ne rien cacher. Jackson C. Frank réussit là où bien des biographes ont échoué. 
Marlene” marque immédiatement sa différence. Voilà un hit en puissance, de la folk pour les gens, faite pour plaire à son auditeur, le charmer pour lui faire admettre la magie d’une romance poussiéreuse. On y entend un Jackson C. Frank qui est encore plus proche de nous. Il se tient là, il chante pour nous. Splendide, féérique. Les coups donnés sur la guitare nous font traverser des montagnes. Peut-être “The Visit” est-il le titre qui marque le plus sa nationalité. On s’imagine si facilement parcourir la route des grandes vallées. Et puis, il fallait forcément un final qui marque les esprits. “Prima Donna Of Swans” joue ce rôle. On imagine si facilement les dizaines de biographies qui porteraientt ce nom, le documentaire, le surnom de Jackson C. Frank, The Swan Boy. Pourtant, il n’en est rien, mais la beauté demeure. Comme un pied de nez à la scène, il conclut sur “Relations“, un des morceaux les plus dépouillés de l’album. Egalement l’un des plus beaux. 
Lorsque j’écoute cet album, je me dis qu’il a transposé en musique ce que Kerouac écrivait de la sorte : “I’m writing this book because we’re all going to die.” Jackson a précisément composé son album pour cette raison. A ne pas en douter, c’est également pour cela qu’il n’en aura jamais composé bien plus. 
Alors, pourquoi Jackson C. Frank n’est-il pas plus reconnu ? Surement est-ce en partie dû à la quasi-absence de mélodies qui jouent sur l’immédiateté. Dans le genre le plus pur, Jackson C. Frank ne donnait que dans l’arpège, de la folk au service de l’émotion. Impossible de ne pas voir comment cette monotonie apparente a pu en décourager plus d’un. Mais, ne baissons pas les bras, Jackson C. Frank sera un jour reconnu comme il se doit, ça ne fait aucun doute. D’ores et déjà, comment ne pas voir qu’inspirer des reprises à Nick Drake, un album à Beck et de nombreux titres à Simon & Garfunkel ne peut être que l’oeuvre que d’une pièce magistrale. 

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