La malédiction psychédélique : De Tame Impala à King Gizzard… ?

Il y a comme un malaise. Tame impala a débuté les années 2010 en délivrant deux des meilleurs albums psychédéliques de l’histoire, Innerspeaker et Lonerism. Et puis… une merde – nommée Currents. Mais fort heureusement, King Gizzard est rapidement venu prendre le relais. Tout a véritablement commencé avec I’m In Your Mind Fuzz, qui, pour la première fois, faisait voler en éclat les codes de la musique krautrock. Il enchainait rapidement avec Paper Mâché Dream Balloon et Quarters!, jusqu’aux chefs d’oeuvre de Nonagon Infinity et Murder Of The Universe. Entre temps sortaient plusieurs albums d’un niveau exceptionnels qui ont contribué à faire de lui le meilleur groupe psychédélique de l’histoire. Rien que ça.

Mais je m’inquiète désormais. Sur Polygondwanaland, King Gizzard a introduit quelques sonorités électroniques qui évincent – en partie – le côté analogique qu’un groupe de rock psychédélique doit explorer. Doit ? J’affirme et j’accuse en effet le devoir de se tenir écarter de la boue électronique qui ne laisse aucune place au hasard, qui calibre, entube, encode. Les groupes du niveau de King Gizzard doivent particulièrement montrer l’exemple.

Et puis, Gumboot Soup a vu le jour, le 31 décembre dernier. Dedans ? D’excellents morceaux qui le placent, une fois encore, parmi les meilleurs albums de 2017. Ce qui est plus dérangeant, c’est la direction, vers l’autotune et le préfabriqué. C’est “Superposition“. Cette placo-musique me donne des frissons dans le dos et j’espère que kinggizzardandthelizardwizard.com ne fera pas une redirection prochaine vers www.placo.fr.

Aucun des titres de cet album n’est pourtant mauvais – si ce n’est “The Great Chain Of Being” qui force beaucoup trop et tombe dans l’écueil que Fuzz a toujours évité – mais King Gizzard ne doit pas nous faire “une David Bowie”. On se remémorera ce dernier pour avoir été le premier a avoir intégré à ce point une démarche commerciale dans sa musique. David avait plusieurs personnages qu’il développait avec des publicitaires et autres managers, il était creux et se remplissait de ces identités, pour vendre, vendre, vendre. Mais David avait aussi un talent de musicien, ce qui l’a conduit à éviter les albums trop plats. Seulement, il a montré la voie et il est aujourd’hui responsable de toute la mauvaise pop que l’on entend. A ce titre, David Bowie est le père de Lady Gaga.

Il en va de même avec King Gizzard. Le groupe est trop inspiré pour produire quelque chose de mauvais, semble-t-il. Seulement, s’il tombe lui aussi dans l’électronique à la Tame Impala, il ouvrira une voie au travestissement de tous les groupes psychédéliques. Il créera une norme. Et nous, on vomira. Etre un artiste ne va pas sans avoir quelques responsabilités.

Alors certes, on en est loin. Et certes, Gumboot Soup est excellentissime. Je pense notamment à “The Last Oasis” qui, avec ses allures de free jazz, est un véritable chef-d’oeuvre. Oh, et puis, il y a bien “Beginner’s Luck” qui nous exhorte une partie de poker, “Muddy Water” qui reprend des allures orientales pour le meilleur, “Barefoot Desert” qui est saccadé avec grâce, “Down The Sink” avec ses variations qui contrastent parfaitement avec des paroles entêtées, “I’m Sleepin’ In” qui explique comment faire de la dream pop psychée, et “The Wheel” qui fini, encore, sur du jazz, comme pour nous redonner espoir. Gumboot Soup est plus doux que nombre des albums du groupe, plus complet aussi et cette sensation plénière est chimérique. En fait, cet LP est une nouvelle gerbe d’or de King Gizzard et on s’extasie une fois encore devant l’excellente production, personne ne fait aussi bien, nul part dans le monde.

Ouais, mais il y a ce mais électronique, cet autotune qui me hante. A quoi sert-il ? A être certain que la voix soit toujours ajustée, pour gagner du temps en studio et sortir encore plus d’albums ? A ce prix-là, je ne pense pas en vouloir… Et outre mes quelques « réserves électroniques », je note également que King Gizzard semble avoir abandonné le format de concept-album depuis Polygondwanaland. C’est dommage. Le groupe n’a pas annoncé 8 sorties pour 2018, je ne ne sais pas encore s’il faut s’en réjouir, après tout, il a explosé 2017 de toutes parts, mais peut-être est-ce l’occasion pour lui de produire un album qui aille chercher Innerspeaker et Lonerism. Après tout, il ne lui reste « que » deux ans pour imposer le meilleur album psyché de la décennie. Ce n’est pas encore fait.

En est-il capable ? Tous les groupes psychés des années 2010s sont-ils voués à un triste destin ? King Gizzard est-il, doucement mais surement, en train d’emprunter la voie Tame Impala ? Je peine encore à y croire, King Gizzard ne nous laissera pas tomber… !? Mais peut-être a-t-on déjà la réponse dans les écrits de Lester Bang. Il est devenu ringard de le citer, parait-il, mais après tout, il est également ringard de s’exposer en dénonçant la musique électronique, il faudrait accepter tout ce que propose notre époque. Alors voilà : “les défricheurs de cette décennie sont trop souvent si soucieux de franchir les barrières pour parvenir de l’autre côté, qu’ils en oublient de jouer avec leur coeur autant qu’avec leurs doigts, leur esprit et leur système nerveux“. King Gizzard ne doit pas oublier le coeur, que l’électronique tue par définition car il ne laisse plus aucune place à l’erreur. A vouloir franchir tant de barrières, le risque est grand, l’équilibre est subtil.

(mp3) King Gizzard – The Last Oasis
(mp3) King Gizzard – Beginner’s Luck


TracklistGumboot Soup (LP, Flightless, 2017)
1. Beginner’s Luck
2. Greenhouse Heat Death
3. Barefoot Desert
4. Muddy Water
5. Superposition
6. Down The Sink
7. The Great Chain Of Being
8. The Last Oasis
9. All Is Known
10. I’m Sleepin’ In
11. The Wheel

Liens :
Article sur Murder of the Universe
Classement des meilleurs albums de 2017

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