Alex Calder, valse pour ectoplasmes

Alex Calder, c’est un artiste que l’on connait bien sur Still in Rock. J’ai eu la chance de l’interviewer deux fois (ici et ici), de discuter de nombreuses fois de ses relations avec son label, aussi, de ses diverses aspirations. Son nouvel album, Alex Calder, était prévu pour la fin octobre, mais…
Cet album aurait dû être une fête, mais il n’en est rien du fait des allégations – qu’il a confirmé par ailleurs – de pratiques sexuelles non consenties. Je me questionne souvent sur la nécessité de séparer l’artiste de l’art. D’un côté, j’ai envie de le faire parce que certains chefs d’œuvre sont le fait de pervers. Et puis, je suis intimement convaincu que les hommes savent parfois se surpasser afin d’échapper à leur condition humaine. Ces moments de surpassement méritent notre attention, ils sont tout. D’un autre côté, la sincérité d’un artiste fait nécessairement que son œuvre, si elle n’est pas feintée, est lui et entièrement lui. Laissez-moi donc le bénéfice de la réflexion.

En attendant, je chronique l’album d’Alex Calder parce qu’il contient d’excellents morceaux. Le reste, c’est pour plus tard, je veux simplement dire à ce stade que je ne cautionne en rien les pratiques dont il est accusé. Il semblerait par ailleurs que je ne sois pas le seul à adopter cette posture. Dans son livre intitulé Sexual Personae: Art & Decadence from Nefertiti to Emily Dickinson, Camille Paglia, professeur à l’université de Yale, relève que l’art doit être “beyond the scope of punishment” (au-delà du champ de ce qui peut être puni). Que l’homme soit ainsi puni s’il doit l’être, pas son art. Enfin, j’imagine.

Le fait est, indépendamment de l’homme – donc, qu’Alex Calder est le pape de la pop spectrale, son créateur, le maître d’œuvre de tout un mouvement. On se souvient que son premier album, Strange Dreams, était sorti en 2014 via Captured Tracks – qui aurait dû être le label de son nouvel album, mais suite aux allégations… Et puis, pour le plaisir de brouiller sa discographie, il avait sorti plusieurs EPs sous son nom propre, puis sous le nom de Mold Boy, puis sous les deux, avant d’en retirer certains de Bandcamp, puis en les republiant sous un autre nom, puis en faisant paraître l’album Bend (toujours chez Captured Tracks), puis en disant qu’il arrêtait la musique pour devenir chef cuistot, puis exorciste, puis acteur, puis en faisant paraître des démos, puis en étant au centre d’un scandale, puis… ? Mystère. Pour la première fois, double mystère (même). Calder a toujours été énigmatique, et cette fois-ci, on ne sait pas s’il reviendra. La brume de sa pop spectrale n’a jamais fait autant se questionner.
Globalement, Alex Calder (l’album, d’où l’italique) est plus fourni que ses précédentes créations, délaissant un peu de minimalisme au profit d’une pop plus colorée. Sa pochette n’est pas anodine, je crois, Calder voulait plus d’éclat et moins de ce gris que l’on aime tant chez lui. “Operator” est un bel exemple de cette volonté, le titre commence dans un style qui me rappelle certains titres de Makeout Videotape.

Morning Ritual” est le premier titre avec Caroline Levasseur, single de cet album paru au mois d’août dernier, lorsque tout était différent. Une fois encore, Calder a renforcé le côté mid-fi pour atteindre une musique un brin plus luxuriante. Et “Noticing Me” d’enchainer sur une valse pour ectoplasmes. C’est le style que l’on connait, celui qui le portera – probablement ? on ne sait plus – à la postérité. L’album n’eut pas été complet sans cet élan. “Another Day”, l’une des masterpieces de l’album, pourrait être l’occasion d’une allégorie entre ce qu’il dégage – la voix d’Alex est dédoublée pour renforcer la présence du périsprit – et la situation à laquelle on ne peut s’empêcher de penser. L’interlude de “End of Time” fait ce que l’on attend d’elle et “Death Beside Me“, pour rajouter en noirceur, vient avec ses sonorités à la Joe Meek donner un peu de grandiloquence au passage de l’arme à gauche.

Sleep Like This” perpétue le thème du rêve et de l’oubli de soi. Carl Gustav Jung aurait composé de la pop qu’il aurait produit ce morceau. Vient ensuite “Loosen Up“, un chef d’oeuvre comme seul Alex Calder sait en produire, je crois, le genre de morceaux qui justifie à lui seul un article du genre. Et la valse continue. Et notre étonnement l’accompagne.

Slowing Down” est un titre que nous connaissions déjà pour être de Strange Dreams, son premier album. Curieuse démarche donc que de l’intégrer à nouveau sur cet LP, d’autant plus que cette nouvelle version est similaire à celle que nous connaissions déjà. Il est toujours aussi efficace par ailleurs, ce qui nous indique à quel point la musique d’Alex Calder est immuable. “Fading Away” nous plonge en plein dans l’Améthyste avec sa musique sous-marine pour personnages de Walt Disney déprimés. Et puis, vient “Half an Hour” dont on comprend immédiatement qu’il est différent. Garrett Johnson fait son apparition dans un morceau plus vraiment spectral mais qui fait assurément de la “magie de Noël” la bonne excuse d’une nouvelle pièce creepy-joyeuse. Et “Goodnight“, dont l’appellation a désormais un sens particulier, clôt cet album un peu déchirant.

Au final, Alex Calder (l’album, une fois encore), est excellent à bien des égards. Le fait est qu’il a toujours produit une musique d’excellence, il fait partie de ces rares artistes dont on sait que chaque sortie est essentielle. Vous l’aurez compris, je ne vous demande pas pour autant d’écouter cet album contre vos grès, je comprends cette posture. Le fait est toutefois, d’un strict point de vue artistique, qu’Alex Calder vient de réussir quelque chose de grand. Il me semble qu’il faut ainsi raison garder et accepter que certains puissent vouloir séparer l’art de l’artiste. Peut-être ont-ils raison ?

Et pour tout vous dire, ce qui me dérange un peu, c’est l’hypocrisie du milieu dans lequel nous sommes. Les qualités de cet album d’Alex Calder font parler (oh, pas les Inrocks qui préfèrent le clic, ouais, LE CLIC), de nombreux artistes disent l’apprécier et l’écoutent par ailleurs. Son téléchargement sur les diverses plateformes “illégales” atteste de cet engouement. Mais très peu en parleront en public. Le fait est que la valse pour ectoplasmes est donc en trois temps : celui de sa musique – toujours spectrale, celui de sa situation – nébuleuse et “valsante” pour le moins, enfin, celui d’une scène dont les deux visages – public / privé – fait toujours froid dans le dos. Et j’adresse également cette dernière critique à Alex, n’est-ce pas ?!

(mp3) Alex Calder – Loosen Up
(mp3) Alex Calder – Another Day

Trracklist : Alex Calder (LP, Captured Tracks, 2017)
1. Operator
2. Morning Ritual (feat. Caroline Levasseur)
3. Noticing Me
4. Another Day (feat. Caroline Levasseur)
5. End of Time
6. Death Beside Me
7. Sleep Like This
8. Loosen Up
9. Slowing Down
10. Fading Away
11. Half an Hour (feat. Garrett Johnson)
12. Goodnight

Liens :
Interview avec Alex Calder
Article sur son album Bend

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