Album Review : Ty Segall – Manipulator (Garage Psych Rock)


Album Review : Ty Segall

Manipulator

Ty Segall. Je ne vous ferai pas l’affront de le présenter. Son nouvel album, Manipulator sortira officiellement le 26 août prochain. Still in Rock a décidé de prendre un peu d’avance sur le calendrier. Composé de 17 morceaux (c’est beaucoup), Ty revient sur Drag City alors qu‘il nous avait laissés sur un opus de folk avec Sleeper (article). Manipulator est un double album qui contient de très nombreuses exaltations. Et si Ty Segall a décidé d’en faire un double, c’est parce que ses albums préférés, Electric Ladyland de Jimi et le White Album des Beatles en sont également. On retrouve donc cette même volonté de s’inscrire dans l’histoire de la musique qu’a également Jack White.
Deux constats s’imposent très rapidement à l’écoute de Manipulator. Le premier, Ty prouve ici qu’il excelle également dans le psychédélique. Ce n’est pas rien, tant il ne s’était jamais vraiment illustré dans le genre. Le deuxième tient en ce que la production de Manipulator est clairement hi-fi. Et comme toute production hi-fi, plus le nombre d’écoutes augmente et plus on y trouve son compte. Manipulator porte qui plus est très bien son nom. Ty y a caché suffisamment de sonorités pour que l’on y consacre de longues heures. Ne nous y trompons pas, Manipulator est un album de garage qui augmente simplement en gamme. Certains pourront s’en trouver désorientés (j’en fais partie), mais notons tout de même l’extraordinaire travail que cela représente. Ty Segall a d’ailleurs passé 14 mois à écrire cet album, de loin la période la plus importante qu’il n’ait jamais consacrée à cet exercice. S’en est suivi une session studio de 30 jours, tous les soirs jusqu’à 4 heures du matin.
Les titres sont quasiment tous bâtis sur la même structure : une intro’ instrumentale à la guitare, la voix de Ty qui arrive rapidement et de nombreuses autres guitares qui créent un tout relativement psyché. Si la formule est bonne, à quoi bon la changer ?
Beaucoup de groupes de la scène ont les yeux rives sur Ty, ils regardent ce qu’il fait et se disent que c’est après tout possible. Cet album parvient à influer de nouvelles possibilités. Toutefois, quelques titres ne sont pas dans cette dynamique et se “contentent” de perpétuer l’art de Ty Segall, sans essayer plus encore. Le débat s’installe alors : Ty peut/doit-il se contenter de nous donner ce que l’on veut, ou doit-il nous surprendre continuellement ?! Rares sont ceux qui peuvent entrer dans la deuxième catégorie, j’opterai alors pour cette solution. Quels morceaux en font partie ? Place à la critique track-by-track :
  • Manipulator : Une introduction assez charismatique mais qui ne restera surement pas dans la légende de Ty. On y perçoit déjà la qualité très hi-fi de cet album, et “Manipulator” s’impose finalement comme l’un des titres qui gagnent à être le plus écoutés.
  • Tall Man Skinny Lady : Une des 7 merveilles de l’album. On y retrouve la guitare de “Sandra“, titre du dernier album de White Fence. On note également que le rythme est sensiblement plus élevé que sur les anciens albums de Ty. Une seconde guitare électrique vient rapidement imprimer une mélodie absolument irrésistible. La présence très marquée de l’acoustique est du meilleur effet. C’est un HIT, ultime.
  • The Singer : Légèrement sur produit, je ne suis pas franchement persuadé de la présence des violons. En revanche, comme seul Ty sait le faire, le final est parfaitement maitrisé.
  • It’s Over : Trop pour l’humain ! On comprend là que Manipulator est l’album le plus psychédélique à ce jour produit par Ty Segall sans qu’il y délaisse ses amours stoner. Ce titre résume donc à lui seul ce qu’est Manipulator. Nous serons des milliers à crier ‘It’s ovah‘ à tue-tête lors de ses prochains lives. Le génie Ty dans TOUTE sa splendeur. Le deuxième des 7 merveilles. Déjà un énorme classique.
  • Feel : La nouvelle avalanche de guitares et ce concours de percussions sont également grandioses. “Feel” en rajoute toujours une couche, difficile de distinguer le nombre de guitares sur le final (5 ?). Et toujours ce rythme fou qui suscite une incroyable dose d’adrénaline. Son final façon Black Sabbath est un nouveau témoignage de son amour pour le groupe. Mais jamais nous n’en aurons assez ! La vitesse d’exécution rappelle le doigté de Jimi. La troisième des sept merveilles.
  • The Faker : Très rythmé, “The Faker” rappelle volontiers le Ty Segall des débuts avec un son proche de Goodbye Bread dans un esprit très Demos 2007-2010. Fidèle à la structure des autres titres de l’album, une guitare vient à mi-parcours supplanter l’orchestration en place, avant que d’autres ne viennent une fois encore nous rappeler son amour pour Blue Cheer.
  • The Clock : Un titre de rock américain alternatif ? Il l’a fait. C’est amusant. En ressort l’impression d’entendre du Ledzep’. Notons toutefois que les violons y sont de trop et que la mélodie manque en simplicité (comme celles groupe précité).
  • Green Belly : Un titre plus Sleeper que les autres, surement à cause (grâce) aux guitares acoustiques. “Green Belly” n’est pas le titre le plus original de Ty, mais suffisamment bien fait pour que l’on s’amourache de son petit accompagnement acoustique. Sa force Pop est super présente. “Green Belly” est tout ce que Mikal Cronin a toujours cherché à faire. 4eme des 7 merveilles, ce titre s’illustre surtout par son refrain. He’s gonna make a movie of his entire life.
  • The Connection Man : John, John ? Non, ce n’est pas Dwyer, mais bel et bien la guitare de Ty Segall qui cogne fort dans ce titre le plus court de l’album. Il manque à ce titre l’éclat que l’on aime tant.
  • Mister Main : Il est rare d’entendre la voix de Ty Segall si présente. “Mister Main” marque une véritable coupure. C’est bon. L’accord final qui s’étend sur quasi 15 secondes est la marque d’une nouvelle ère Manipulatrice. Une nouvelle fois, Ty passe tout en Pop. Il y excelle, “Mister Main” est proche d’être une nouvelle des 7 merveilles.
  • The Hand : Assassin. Ils sont rares à pouvoir nous tirer un sourire avant même que le morceau ne soit véritablement commencé. Un accord, et on sait/sent déjà que “The Hand” va être un grand moment. Ca ne manque bien évidemment pas. Ty remprunte le rythme de “Tall Man Skinny Lady” avant que deux guitares, une pour chaque oreille, viennent ensuite nous prendre d’assaut. La production hi-fi de Manipulator prend alors tout son sens. Et puis des finals du genre ne peuvent être que loués. Il ne s’en fait plus depuis que Syd Barrett a quitté Pink Floyd. La cinquième des 7 merveilles.
  • Susie Thumb : Ty passe en puissance. Bien entendu, on ne saurait renier cette guitare crunchy qui rappelle ses débuts. Mais peut-être que “Susie Thumb” n’est pas le titre le plus novateur de sa discographie. Bien qu’il soit typiquement le genre de titres qui n’intègre pas les meilleurs de l’album, il demeure l’un des plus efficaces que l’on ait entendu cette année. C’est dire ! Et c’est encore une création psychédélique de plus à ajouter à sa discographie.
  • Don’t You Want To Know? (Sue) : Si le départ en trombe de l’acoustique donne des sueurs en accompagnent de sa voix hélium, le tout s’emballe très rapidement.”Don’t You Want To Know? (Sue)” fait encore penser à du White Fence. L’influence de l’un sur l’autre semble décidément grandissante. Impossible de distinguer le final avec ceux de For The Recently Found Innocent.
  • The Crawler : “The Crawler” est le morceau le plus puissant de tout l’album, sans conteste. Sic Alps (article) acquiesce. Il est curieux que Ty Segall l’ait placé à ce moment de l’album où sa bohème semblait prendre le dessus. “The Crawler” eut je trouve été un parfait morceau pour introduire l’opus, mais il perd ici un peu de son sens.
  • Who’s Producing You : Ce titre est probablement le plus varié de l’opus. Les guitares écrasent définitivement la batterie alors que le final est l’un des plus brillants de tout l’album.
  • The Feels : Le duo magique. Ce titre et le suivant forment une paire tout à fait magnifique. Sixième des 7 merveilles, “The Feels” fait danser une guitare acoustique avec l’électrique que l’on côtoie depuis l’introduction de Manipulator. Slaughterhouse n’est pas loin, un peu de heavy par ci, un peu de stoner par là, Ty se raccroche à ces amours Fuzz-ien. Bienvenue dans les heures les plus noires de l’album. Motörhead impose sa patte.
  • Stick Around : Le 17ème morceau, la 7ème merveille. Impossible pour tout rockeur de résister à ce dialogue de guitares que Ty Segall met en oeuvre par intermittence, comme il aime tant le faire. Taille pour les lives, ne cherchez pas plus loin, seul Ty est capable de délivrer de tels trésors.

Pour la première fois, Ty Segall semble se raccrocher à certains éléments très sixties. Cela n’est pas étranger aux nombreuses sonorités psychédéliques que contient Manipulator qui fait également penser à un opus concept, un peu comme le SF Sorrow des Pretty Things. L’écoute de Manipulator est très exigeante/éprouvante en ce qu’il alterne entre phases clairement psychédéliques et relents de son stoner chérit qui rappellent parfois ses derniers opus (Slaughterhouse, Twins, l’album de Fuzz).
Les titres sont sensiblement plus longs que sur ces anciens albums. Il n’est pas rare qu’il y dépasse la marque les 4 minutes, ce qui n’était clairement pas le signe de ses premiers amours. J’y trouve une très lourde influence de Syd Barrett. On y entend également celle de Jay Reatard sur les morceaux les plus nerveux. Et puis, viennent certains autres titres qui, trop proches de l’univers de White Fence, ne nous contentent pas vraiment. Ils sont certes très bons, mais pas vraiment surprenants. Difficile donc de s’y transcender. Toutefois, la sensation que Ty ne pourra vraiment jamais nous décevoir se trouve une nouvelle fois renforcée. Ty est bel et bien le roi de la scène, et Manipulator contribue de cette aura.
Tel que décrit, 7 merveilles constituent le fer de lance de cet album : “Tall Man Skinny Lady“, “It’s Over“, “Feel“, “Green Belly“, “The Hand“, “The Feels” et “Stick Around“. Et puis, logiquement, un opus qui contient 17 morceaux nécessite forcément quelques coupes. Peut-être que “The Clock” et “The Connection Man” auraient pu y passer sans que la qualité de Manipulator ne s’en trouve réduite. Peut-être aussi que sa voix de tête est trop utilisée ? L’album est finalement super solide, surement est-ce dû au travail de production de Chris Woodhouse (qui travaille aussi avec Thee Oh Sees) mais il manque parfois en surprises.
Bien entendu, même les titres les moins inventifs de Ty parviennent à nous transporter. Le constat est donc mitigé quant à savoir si cet album, composé de 17 morceaux, doit être uniquement encensé ou parfois mitigé. Les “7 merveilles” intègrent sans souci le top des meilleurs titres de Ty, mais les 10 autres, parfois nécessaires à l’ambiance générale, parfois juste OK, viennent assombrir un peu le tableau. Mais le tableau demeure un chef-d’œuvre du genre, toile de Grand Maître. Je propose donc de garder la crème de ce Manipulator, d’en jouir pendant de nombreuses années, et de se contenter de relever le génie de ces derniers. Après tout, on alterne entre le très bon et le divin.

Imaginons ensemble une nouvelle façon d’aborder Manipulator : l’album regroupe beaucoup de tous les visages de Ty Segall qui a souhaité les regrouper dans un seul et même double LP. 2014 est l’année checkpoint de Ty Segall, celle sur laquelle il compte bâtir un nouveau futur. Nul doute qu’il continuera rapidement à explorer tout ce que la musique a à offrir. No worries donc, il y a fort à parier que Manipulator est l’album statement de Ty Segall, celui qui écrase la scène, avant que Ty ne prenne son envol vers d’autres cieux.

Note : 8,7 / 10 (barème)

(mp3) Ty Segall – Tall Man Skinny Lady

Liens afférents :
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Album Review de Twins

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