Ne faites jamais un blind test avec du Dr Chan ! Ce serait aussi con que de faire deviner du Beck ou du Nirvana : en 3 secondes à peine, une horte de drunk se mettraient à gueuler “Doocteur Châââânne”, tous satisfaits du slip et persuadés d’être des génies de l’exercice. Il suffirait en réalité qu’ils aient écouté Dr Chan une fois dans leur vie pour prendre part à cette horde de gueulards.

Les seuls groupes dont on se souviendra sont ceux qui n’auront pas pompé tout ce qu’ils savent sur Ty Segall, Thee Oh Sees, King Gizzard et/ou Mac DeMarco. La route est pourtant bien plus facile en procédant de la sorte. Les quelques artistes précités sont comme d’immenses vans, il suffit d’y mettre le pied pour être emporté dans le “cercle du cool”. Si vous agissez de la sorte, les salles se jetteront alors sur vous, les fans crieront au génie et vous aurez l’impression du succès. Vous aurez certes disparu dans 5 ans, mais vous vous en foutrez. Vous aurez alors un “vrai job”, vous aurez vécu “votre rêve”, vous aurez collectionné les groupies et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes. Après tout, vous n’aurez jamais pensé à la postérité, parce que vous saviez qu’elle vous était interdite dès le début. A moins que vous ne soyez tombé dans le panneau. 

Notre “société du like” peut en tromper plus d’un. Il est facile d’avoir l’impression de peser, mais les followers Facebook permettront-ils une entrée dans le souvenir collectif ? Assurément pas. Savez-vous combien de likes ont des artistes tels que John Dwyer ou Stu McKenzie ? J’en doute, et c’est bien la preuve que les suiveurs Facebook, ou Instagram, ou Twitter comptent finalement peu. A l’inverse, personne ne se souciait de Big Star, de Beat Happening ou de Slint. Leurs concerts étaient déserts. Regardez où ils sont. Et pour cause, la seule chose qui pèse, c’est la musique que certains groupes savent graver dans le cortex de leur public.
Suis-je, alors, en train de faire l’apologie du parfait loser ? Ha, ça m’étonnerait bien. Les losers, ce sont ceux qui proposent un album sans volonté de révolutionner la chose. Ils me font perdre mon temps. Bien entendu, je ne veux pas que tous les artistes aient la prétention affichée d’être les meilleurs au monde, mais à quoi bon proposer une oeuvre si l’artiste lui-même est incapable de la situer dans l’histoire ? 

Tout ça pour dire quoi ? Un, que Dr Chan est à ce point singulier qu’il peut logiquement viser la postérité. Deux, que cette singularité lui donne une immense liberté : celle d’aller chercher de nouvelles sonorités sans jamais prendre le risque de tout perdre, parce qu’on saura toujours que c’est lui. Trois, que c’est exactement ce qu’il a fait avec son nouvel album, et qu’ainsi, il envoie un énorme scud à tous les groupes qui peinent encore à susciter quelques passions indéfinies. Les albums sortent à la pèle, le nombre ne compte pas, oubliez cette stratégie, oubliez vos vélléités d’occuper l’espace digital, elles sont vaines et vous dévient de la trajectoire qui profiterait véritablement aux autres.

Bon, j’arrête là.
Le groupe est en train de se demander ce que je fous avec ma chronique.


Le nouvel album de Dr Chan est intitulé Squier. Il paraîtra le 12 octobre prochain via l’excellent Stolen Body Records et j’ai l’immense honneur de le dévoiler en exclusivité intergalactique. Pour ceux qui sont pressés de se prendre une immense gifle, ça se passe en début de cet article. Pour les autres, laissez-moi vous dire pourquoi ce nouvel album de Dr Chan est très important.

On se souvient que Dr Chan avait fait paraître $outh$ide $uicide en février 2017. Il mêlait alors des influences de rap floridien avec des envies de garage punk bien sales. L’album était maculé de la transpiration de la Méca, il respirait les pots d’échappement de ces bécanes qu’ils ont dans les clips de hip-hop, il vivait la nuit. Avec Squier, Dr Chan modifie son paradigme. Moins punk que le premier, moins crade et moins aigüe, il gagne en lourdeur, en pop et évidence.

Ouais, cet nouvel LP de Dr Chan a un son similaire à celui du premier album, mais son intention est à des années-lumière. Et cela est carrément reflété dans le résultat final. Les morceaux de Squier semblent être des missiles tout droit sortis d’un album des Jags ou des Rubinoos. Bien entendu, Dr Chan n’a rien perdu de sa superbe trash-garage-gore-gentil, mais les morceaux de cet album semblent vouloir être nos meilleurs potes plutôt que des ennemis venus pour nous massacrer (c’était le cas sur le premier album).


L’album est introduit par “Wicked & Wasted“, déjà un grand hit du groupe. Peut-être est-ce même son meilleur ? Voilà ce qui se passe. A la différence des titres du premier album que je sais aimer, mais dont j’ai toujours besoin de 10 secondes pour m’en rappeler, la simple évocation de “Wicked & Waster” suffit à me le faire chantonner. C’est en cela que cet album de Dr Chan est power-pop/bubblegum, sous son filtre garage. Et “Bounded Affection“, en 3 minutes à peine, de venir sceler le sort de cet album : il sera excellentissime, un point c’est tout. Dr Chan reprend ses élucubrations à la “Sleeping Like A Horse” (album Mental Dhead).


Empty Pockets“, c’est un titre plus naissilard-coquin, that’s right, voilà un nouveau sous-genre du garage. Dr Chan y fait du Dr Chan, la batterie cogne avec un son très sec et la guitare semble suivre toutes les variations de la partie vocale, les deux sont inséparables. Oh, et puis c’est au tour de “Squier“, un favori. Reconnaissez-vous le flow de $outh$ide $uicide ? Le gap entre les deux Chan – docteur Jekyll et mister Hide – est ici comblé. Quant à “Growing Up“, c’est un morceau plus aquatique, à la Bungalow Ninja. Il parle de vieillir, une peur que l’on retrouve sur la scène garage mais que les groupes font mines d’ignorer. C’est, une fois encore, ce qui fait la force de Dr Chan : son spleen de l’éternel adolescent. Trêve de psychanalyse.


Retarded” attaque la seconde moitié de l’album sur le thème continu de l’idiot-ado-dumb-pas-capable. Dr Chan en fait un hymne. Il n’a jamais eu de véritables penchants slacker, mais force est d’y reconnaître une petite touche du genre ici-même. The Sinner” relate également de la vie d’un loser. Seul le Chan délivre des morceaux de ce type, une fois encore, la voix collée à la guitare, et cette fois-ci, la batterie collée aux deux. Vient alors Girls” – oh chanson d’amour quand tu nous tiens – qui fait criser la coquine (la guitare). Le groupe insiste sur les choeurs.


(pour le prix de deux pintes)
(pour le prix d’un nouveau slip)
(pour le prix d’un bébé crocodile)
(pour le prix d’un mug officiel de l’Elysée)


T.d.k.n.c” introduit le trio conclusif qui est assurément moins shiny que le reste de l’album. Dr Chan accélère le rythme. L’album délivre, l’intensité est noircie, la mélodie est obscurcie, elle aussi. Quant à God Hates You“, c’est l’un des grands hits de cet album, le nouveau single pour aller détrôner le top list de votre iTunes. L’album se conclut finalement sur “Talk Shit (glue)“. Dr Chan délivre son spleen une dernière fois, Hoorsees est là, la frontière est brouillée au bénéfice du thème commun de ces deux formations.


Au final, Squier fait ce que tous les meilleurs 2nd album ont fait : une variation du thème, sans trahison, sans parjure mais avec des mélodies plus reconnaissables, comme pour enfoncer d’avantage le clou Dr Chan dans le cerveau des prep boys et groupies parisiennes. Dr Chan a la maitrise tous les aspects de sa musique. Cet album va lui permettre d’assoir sa stature sur la scène française qu’il s’évertue à rejeter (ou à nier). Dr Chan, dans sa version toujours trash mais pop, pourrait bien avoir fait le lien entre la scène super underground et l’attention générale. Plus que jamais, Dr Chan est le groupe Volume 11 de la scène française. “These go to 11, and these to trash-pop”.


Tracklist: Squier (LP, Stolen Body Records, 2018)
1. Wicked & Wasted
2. Bounded Affection
3. Empty Pockets
4. Squier
5. Growing Up
6. Retarded
7. The Sinner
8. Girls
9. T.d.k.n.c
10. God Hates You
11. Talk Shit (glue)

Liens:
Article sur le second album du groupe
Article sur le premier album du groupe

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