ORB, c’est le groupe dont King Gizzard porte le t-shirt. Ça pose un décor, n’est-ce-pas ? ORB, c’est une bande de trois fabuleux magiciens qui, à renfort de grandes envolées, nous fait dire que Black Sabbath a su accoucher d’une scène plus habile que l’on aurait pu le prévoir. A vrai dire, ORB établit sa légende au fil des sorties, si bien qu’aujourd’hui, peu de groupes peuvent se dire aussi créatifs que lui. Il y a bien King G (justement), les Oh Sees et Ty, et White Fence aussi, et j’en oublie certainement une petite poignée, mais le fait est que ORB fait bien partie de cette bande-là. 

J’avais été étonné que le groupe cite plusieurs groupes de free jazz parmi ses influences à l’occasion de notre interview, mais cela trouve désormais un sens tout à fait perceptible à l’écoute de The Space BetweenCe nouvel album me procure la même sensation que l’époque de Still Life of Citrus and Slime de CFM. On entre en plein dans un cabinet des curiosités, un espace sonore dans lequel les boucles s’enchainent très rapidement, sans lien apparent entre elles par ailleurs.
Le nom de cet album est particulièrement éloquent. Naturality, l’avant-dernier du groupe, était un album extrêmement (bien) condensé. Il étouffait l’auditeur avec une bonne dizaine déflagrations. C’était exceptionnel, ce que j’avais relevé dans un article enflammé (lien). The Space Between ne ressemble que peu à son prédesseur. On reconnait bien entendu la touche ORB, mais ce dernier a dépouillé ses morceaux. On voit ainsi apparaître l’espace entre sa musique, comme si cette dernière était faite de notes et d’espaces de flottement pour nous donner de l’oxygène.

Le groupe m’avait prévu à l’occasion de notre interview : “Well ORB is a departure from what we usually play. So we will definitely not be playing stoner for the rest of our life, not even ORB I don’t think. We’ve written most of the 4th album and there isn’t a single fuzz guitar on it haha.” Je ne suis pas certain (pour dire le moins) qu’il ait tenu promesse, mais une chose est sure, ORB est plus centré sur ce qui se passe dans le changement de sonorités que sur les énormes solos de guitare. Oh, et puis, il y a bien un jeu de mots sur “space”, parce qu’outre l’espace au sens de vide, il parle aussi d’espace intergalactique. Et ORB n’a jamais caché ses envies de space rock, sans jamais être dronesque par ailleurs (Dieu merci).

Space Between The Planets” joue sur les deux sens du mot, justement. Alors que les premiers instants semblent nous dire que ORB va cogner comme sur Naturality, on comprend rapidement que le groupe est décidé à rendre un hommage plus appuyé à Zappa qu’à Alice Cooper. Je note ce que j’ai relevé pour le dernier album des Oh Sees (il faut être juste, m’a dit-on), ORB déniche ici quelques sonorités dont mes tympans étaient encore vierges.

I Want What I Want“, avec son introduction martienne, ne parvient pas à nous faire croire bien longtemps qu’il restera sagement posé dans le coin des morceaux pop. C’est ici que j’en profite pour lancer mon disclaimer. Certaines boissons fraiches disent “se boit très frais“, et bien, excusez ce poncif, mais cet album d’ORB “s’écoute très fort“.


General Electric” me frappe par le niveau de fun qu’il emporte avec lui. C’est une métrique que j’utilise souvent, mais le fait est que ORB sait comment faire exploser les compteurs. On les voit sourire lorsque les boucles reprennent toujours de plus belle, on les voit s’amuser à raccrocher quelques improvisations au thème général de ce titre. Et puis vient Silverfern“, une véritable balade inspirée des Beatles. Il n’y a aucun trick, aucune explosion cachée, aucun résidu de Fuzz ou de stoner ou de psyché ou de rock’n’roll. C’est surprenant et bienvenu.





Viennent ensuite deux titres de mes morceaux préférés. Glitch In The Sky Matrix” est le premier. Si ses deux premières minutes ne lassent pas particulièrement présager d’une singularité à ce point marquante, c’est qu’il faut attendre que ORB activent la fusée à réaction pour le cocktail qui fera tomber la Reine d’Angleterre lorsqu’elle lira cet article : baroque, jazz, stoner, expérimental, noirceur et nuages, rosée du matin et tonnerres, bref je délire. Et l’on retombe sur des rythmes très jazzy à l’occasion de la dernière phase tout à fait splendide. Flightless peut s’estimer heureux d’avoir un morceau si brillant à son compteur.


Lucifers Lament” est le second chouchou. Le final est l’occasion de nouvelles textures sonores non identifiées, ce qui définit l’album autant que les espaces qu’il laisse entre ses boucles. Et ce qu’il contient avant mérite l’approbation de la scène rock tout entière, parce que si 1% des formations actives étaient aussi fantaisiste, plus aucun débat n’existerait quant à la supériorité de la musique sur les autres formes artistiques.

Et je voudrais saisir l’occasion de “Stonefruit I, II, III” pour adresser un point qui me tient à coeur concernant la batterie. Nous avons désormais trois groupes d’anthologie qui introduisent du jazz dans leur batterie : King Gizzard, Thee Oh Sees et ORB. Le trick fonctionne à tous les coups, et pourtant, très peu d’autres groupes ne s’y essaient. Pourquoi donc ? Est-ce parce que c’est trop difficile ? Oh com’on ! Faites-nous plaisir et attelez-vous à cette belle initiative. Copiez, parce que dans la copie se cachent parfois de belles choses et encore plus de créativité.


Au final, The Space Between fait partie de ces rares albums qui poussent à ne pas faire usage de nos envies critiques. Ce que différencie ORB de Black Sabbath – auquel je n’ai pas manqué de le comparer furtivement (et je ne serai pas le seul) – c’est que le premier cité est bien plus créatif que le second qui est toujours enfermé dans son rôle (contre sa volonté, dit-il…). Le rôle de ORB, lui, est tout aussi indéfini que l’étiquette que l’on peut lui coller. Ah, les artistes n’aiment pas ça, les étiquettes. Ouais, mais s’ils le méritent parce qu’elles sont évidentes, je ne me gênerai pas. Ici, on peine à les faire tenir.

Le fait est, alors que l’on peut écouter cet album de ORB une bonne dizaine de fois sans jamais avoir l’impression de s’approprier les morceaux, qu’une seule écoute de Black Sabbath suffit à tout comprendre de leur musique (c’est ce que l’on peut aimer chez eux, par ailleurs). Mais outre Black Sabbath, ORB fait désormais parmi des leaders de la scène, parce qu’ils sont trop peu à aller sur des terrains nouveaux et que tous ceux qui le font (soit parce qu’ils osent, soit parce qu’ils savent) méritent ce statut. Naturality a fait de ORB un fol espoir de la scène, The Space Between fait de lui un pilier. Ça se passe comme ça pour les meilleurs.


(mp3) ORB – General Electric
(mp3) ORB – Lucifers Lament


Tracklist : The Space Between (LP, Fightless Records, 2018)
1. Space Between The Planets
2. I Want What I Want
3. General Electric
4. Silverfern
5. Glitch In The Sky Matrix
6. Lucifers Lament
7. Stonefruit I, II, III

Liens :
Interview Still in Rock du groupe
Article sur le premier album de ORB


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