Ty Segall + White Fence = Experimental Joy


Ty Segall & White Fence sont deux fous furieux. Deux titans de la scène actuelle. Deux légendes dont on se souviendra dans 50 ans ! Lorsqu’ils ont fait paraître leur premier album commun en 2012, le dénommé Hair, personne ne s’attendait à ce qu’ils viennent surclasser ainsi le reste de la scène. Le projet semblait sortir de nulle part, il était flamboyant, garage, saignant, pop et bagarreur. Je n’ai jamais entendu la moindre critique le concernant. On attendait donc la suite avec impatience et voilà qu’elle vient de paraître ce mois-ci, toujours via Drag City. Elle s’appelle Joy, elle est tantôt expérimentale, tantôt envoutante ; je vais y revenir plus en détail.


Qu’il me soit permis au préalable de confesser ne pas avoir lu la presse au sujet de cet album. Est-elle bonne ? Dyrhyrambique ? Mitigée ? Je serai curieux d’aller voir tout ça de plus près. A défaut d’information, je m’étonne ainsi du fait que Tim Presley ait choisi l’appellation “White Fence”. Après tout, son dernier album sous ce nom remonte à 2014 et à l’excellent For The Recently Found Innocent. J’irai chercher quelques interviews qui pourraient donner une explication. Une chose est sure, cela implique des morceaux plus structurés que ceux de son projet solo, ou de sa collaboration avec Cate Le Bon. C’est une bonne nouvelle tant j’en suis venu à saturer de ces morceaux à la Nico qui se ressemblent tous parce qu’ils veulent tous être si singuliers que l’on en perd l’émotion.



Ce qui me frappe également, c’est que si Hair était dominé par Ty Segall, Joy est incontestablement dominé par White Fence. Les morceaux sont généralement composés de courtes phases qui tentent de rendre le tout cohérent. C’est très souvent réussi. Hair était plus garage rock, Joy est plus indie pop. Hair était plus terre à terre, Joy est plus aérien. Ceux sont deux éléments – terre et air – qui se confrontent. Chacun aura sa préférence.


Ma préference est celle de la terre, celle de la matière que l’on peut toucher et malaxer. Joy est parfois inatteignable et l’on peine par moment à l’attraper pour s’en saisir pleinement. Cela donne lieu à quelques moments de fantasmes et de rêveries, parfois, à des passages plus… amorphes. Mais who are we kidding anyway, comme qu’ils disent. On est rappelé à la réalité de cet album à chaque instant : il s’agit de Ty Segall, et de Tim Presley. Il s’agit de l’album de deux monstres de la scène qui, à chaque nouvelle sortie, tentent toujours quelque chose de nouveau. Joy est donc excellent, et malgré tous les reproches que l’on peut lui faire, il surclasse de loin une bonne partie de la scène actuelle.


Ça commence pourtant difficilement avec une introduction à la Queen, mais la batterie vient très rapidement rattraper le tout. C’est Beginning“. Vient ensuite Please Don’t Leave This Town“, un titre plus mellow qui rappelle le premier album des deux compères. Il s’écoute comme un au revoir bien pensé à ce son de guitare, avant qu’ils ne se dirigent vers de nouvelles sonorités sur les morceaux à venir. Room Connector” fait l’interlude. 

Body Behavior“, c’est l’une des immenses réussites de cet album. Parfaitement rythmé, il emprunte à Family Perfume (White Fence) et ajoute en intensité ainsi qu’en noirceur. Ty Segall renforce le tout avec la guitare acoustique de Sleeper, eux seuls savent faire ça. Et “Good Boy” de venir clouer au pilori ceux qui doutaient jusqu’à présent de l’efficacité de cet LP. Ces deux guitares, une formule qui est reprise tout au long de l’album, fait des merveilles et me fait me demander, une fois encore, pourquoi tant de groupes s’évertuent à n’en conserver qu’une seule ?

Hey Joel, Where You Going With That?” et Rock Flute” sont plus difficiles, parfois agréables, mais clairement pas les pièces essentielles de cet album. Surement complètent-ils le patchwork. A Nod“, en revanche, est d’un tout autre calibre. Tim Presley est un meilleur parolier que ne l’est Ty Segall – la catastrophe de son dernier “album” à ce sujet… – et je serai bien curieux de savoir comment cet LP a été construit, mais le fait est que ce titre est parfaitement fait. Une fois encore, j’irai chercher des renseignements plus tard, après tout, il n’est plus besoin de se renseigner pour écrire en 2018 (n’est-ce pas ?!).

Grin Without Smile” et Other Way” renforcent la sensation d’aridité qui se dégage parfois de cet album. Sans jamais paraître violents, les deux amis tentent une nouvelle cadence qui se rapproche assurément du punk. L’interlude Prettiest Dog” fait ça, aussi.

Do Your Hair” attaque la dernière ligne sur ce qui sont les accords les plus pop de cet LP. Et si She Is Gold” est bâti sur son petit suspense, il finit par dévoiler lui aussi un peu de cet furie contrôlée qui apparaît plusieurs fois tout au long de l’album. Tommy’s Place” veut nous montrer, alors on ne regarde pas, mais My Friend” fait office de belle conclusion. On se dit qu’on aurait bien repris une louchée de titres de folk de ce style. C’est le prix à payer.

Au final, Joy réussit tout ce qu’il entreprend, je me demande simplement combien seront les destinataires à acquiescer à tout ce qui est entrepris. Certains morceaux – ou boucles – font partie de ces beaux moments de l’année 2018, je pense à “A Nod“, à “Body Behavior“, “Do Your Hair” et à la conclusion de “My Friend“. D’autres font un petit peu trop le choix de l’avant-gardisme, mais peut être suis-je trop rétrograde pour les comprendre. Une chose est certaine, Ty Segall et White Fence ne font pas dans la démonstration, et lorsque l’on touche à la musique X% expérimentale, c’est un défaut que l’on retrouve constamment. Je me pose désormais les questions suivantes : à qui un (cet) est-il destiné ? Doit-il prendre en compte son auditoire ? Doit-il est égoïste ? Est-il meilleur s’il l’est ? Meilleur pour qui ? Ah… Une chose est sur, j’ai la forte impression que Joy a été composé par et pour Ty Segall & White Fence.

Tracklist : Joy (LP, Drag City, 2018)

1. Beginning
2. Please Don’t Leave This Town
3. Room Connector
4. Body Behavior
5. Good Boy
6. Hey Joel, Where You Going With That?
7. Rock Flute
8. A Nod
9. Grin Without Smile
10. Other Way
11. Prettiest Dog
12. Do Your Hair
13. She Is Gold
14. Tommy’s Place
15. My Friend


Liens :
Article sur le dernier Ty Segall
Article sur le The WinK de Tim Presley

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