Anachronique : Harry Nilsson (Pop)

 

Nilsson est l’un des plus grands compositeurs Américain du 20ème siècle : le décor est ainsi planté. Né à Brooklyn en 1941 et mort en 1994 à Agoura Hills, Nilsson a toujours poursuivi une carrière très atypique : il a longtemps travaillé dans une banque alors qu’il sortait des albums qui ne rencontraient aucun succès, il refusait généralement de se produire sur scène mais a accepté une session BBC à inscrire au panthéon du genre, il était l’artiste préféré des Beatles (de leur propre aveu, en 1969) mais il a préféré collaboré avec Randy Newman, il s’est fait reconnaître un travers un dessin animé en 1971 et finira par travailler avec John Lennon en 1974 à l’occasion de son album Pussy Cats… bref, la vie de Nilsson fut riche et nous voilà aujourd’hui en possession de quelques LPs qui ont marqué l’histoire de la pop.
L’album qui fait l’objet de cet article est Nilsson Schmilsson, son chef d’oeuvre paru en 1971. Composé de 10 morceaux, il alterne entre pop pas vraiment faite pour le hit-parade, des balades à faire fondre les coeurs les plus punk et, toujours, une maitrise hors pair. Sur fond de musique burlesque, on ne sait jamais vraiment bien si Nilsson se moque de son auditeur, du star système ou de la planète toute entière. Une chose est sure, Nilsson semble se moquer de quelqu’un et ce degré d’ironie – que l’on retrouve également dans les compositions de Randy Newman – rend sa musique tout à fait singulière.
Je serai plus rapide qu’à l’habitude sur la critique de l’album. Permettez-moi pour commencer de signaler la nécessité d’écouter chacun de ces titres avec la précision d’un véritable orfèvre. “Gotta Get Up“, avec son rythme bluesy et ses paroles dénuées de sens, “Driving Along” qui semble poser les bases d’une nouvelle folk à la Grateful Dead et le presque funky “Early In The Morning” forment le trio introductif.
The Moonbeam Song” et “Without You” sont deux morceaux qui touchent l’adolescente qui n’écoute pas réellement le sens des paroles et qui se contentent de murmurer ce qu’on lui dit de murmurer. Aujourd’hui, elles sont sur les smartphones à regarder leur Instagram défiler sans ambition d’apprendre quelque chose. A l’époque, elles se laissaient bercer par les chansons d’Harry Nilsson qui semblait conforter les tendres coeurs alors qu’il méprisait ce qu’il y avait de plus convenu dans la musique pop.
Down” laisse apparaître son amitié pour John Lennon – le titre pourrait être de Plastic Ono – tandis que “Coconut” confirme définitivement le troisième degré de cet LP. “Let The Good Times Roll“, à mon sens, est l’un des grands chefs d’oeuvre de ce titre, capable de réconcilier les deux Amériques tout en assommant la scène anglaise qui n’a jamais été capable de délivrer de tels morceaux à l’esprit country. La voix d’Harry Nilsson prend toute son envergure.
Jump Into The Fire” imite la scène hard rock qui pointait déjà le bout de son nez tandis que “I’ll Never Leave You” fait une promesse qu’il sait ne pouvoir tenir. Nilsson dit son amour pour la musique japonisante, qui l’eut cru ? Well, à ce stade, probablement tous les auditeurs attentifs…

 

(how cool?!)

 

Si je suis rapidement passé sur ce que contient son album masterpiece, c’est que je crois en réalité que Nilsson n’a jamais été aussi rayonnant que dans sa session BBC datée de 1971. On y trouve un Nilsson au sommet de son art, le regard triste et rieur à la fois, capable de délivrer certaines des plus belles partitions de la décennie. Je l’ai dit en introduction, Nilsson n’était pas un grand amateur des prestations en public, raison pour laquelle cette session fut enregistrée sans audience – elle fut éditée par la suite, ce que la BBC a fait à merveille.
La session est introduite sur “Mr Richland’s Favourite Song / One“. Le sérieux de Nilsson est saisissant mais croyez bien qu’il ne saurait s’empêcher de s’en détacher quelque peu. Nilsson, en cela, est un fidèle représentant de la scène nineties avant l’heure, ironique et joueur. Plus bluesy, il enchaine sur “Gotta Get Up” est c’est précisément à 6min36 que l’on comprend que cette session va prendre de drôles de tournures lorsqu’il fait “taire” la salle d’un claquement de doigts. “Walk Right Back / Cathy’s Clown / Let The Good Times Roll” prend le relais dans un élan de génie pour lequel il faut remercier la BBC, ou Nilsson, ou peu importe qui a eu cette idée. Les trois octaves des trois Nilsson donnent une puissance à cette séquence qui est inimitée à ce jour. “Life Line” réintroduit un peu de classicisme dans cette session avant que ne vienne le fameux dessin animé sur “Think About Your Troubles“.
Si tout le monde était heureux, il n’y aurait jamais de chansons d’amour. C’est ainsi que commence “Joy“, un indice de la vision du monde selon Nilsson dans lequel amour = chagrin. “Are You Sleeping?” est un titre plus fidèle à l’univers 70s, dans la lignée des Nazz et de cette scène pre-power pop qui semblait toujours prête à user d’un peu de burlesques pour remonter le moral des troupes.
Without Her“, c’est l’un des grands hits de la discographie de Nilsson, il était donc normal que cette session BBC y consacre quelques minutes. Entre douceur et providentialisme, Harry Nilsson forme un nouveau pont entre pop et folk. La guitare a remplacé le piano et on se dirige tout droit vers “Coconut” que Nilsson joue habillé d’un costume de primate. “1941” clôt le tout sur ce qui reste comme l’une des séquences les plus émouvantes de l’histoire de la BBC.
C’est ainsi que Nilsson, caché sous sa timidité apparente, a délivré quelques-uns des plus beaux morceaux des années 1970. Ils étaient également parmi les plus sarcastiques. En ayant influencé les Beatles et tant d’autres groupes, Nilsson est à jamais au panthéon du genre. Il ne demande qu’à rentrer dans le vôtre.

(mp3) Nilsson – Walk Right Back / Cathy’s Clown / Let The Good Times Roll (BBC session)
(mp3) Nilsson – 1941 (BBC session)

Tracklist:
1. Gotta Get Up
2. Driving Along
3. Early In The Morning
4. The Moonbeam Song
5. Down
6. Without You
7. Coconut
8. Let The Good Times Roll
9. Jump Into The Fire
10. I’ll Never Leave You

Liens :
Article sur Randy Newman
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