Anachronique : The Stooges (Punk Rock)

The Stooges. L’exercice promet d’être difficile. The Stooges est l’un de ces rares groupes qui ont le plus marqué le cours de la musique car ils amenaient avec eux quelque chose de véritablement transcendant. Formé en 1967, les Stooges ont donné vie au premier groupe ironique de l’histoire, le premier à avoir compris la maxime de Lester Bangs : believe in rock’n’roll , “as a joke“, “for fun“. (article). Le rock au service de la masse et comme moyen de sublimer l’individu, c’est un statement certes un peu pompeux mais qui revêt pourtant toute l’importance que le rock peut clamer. Iggy Pop (de son vrai nom James Newel Osterberg) était très soucieux de donner la parole à l’artiste plutôt que sa forme artistique (voir cette vidéo), et on ne saurait être étonné de constater que les Stooges faisaient partie de ces groupes qui pensaient leur musique. Cette démarche va plus loin que la simple volonté de jouer de belles mélodies.Mené par le grand Iggy Pop, on peut aujourd’hui se questionner sur l’évolution du personnage. Si je crois qu’Iggy a su maintenir le détachement qu’il a toujours eu avec la scène, je ne suis pas certain qu’il ait su conserver ce même esprit narquois qui a toujours prouvé à quel point il ne se prenait pas au sérieux. Mais qu’importe, cet article est celui des Stooges de la grande époque, et de rien d’autre.


L’écoute des Stooges est incontestablement dérangeante. Le son que le groupe a produit sur ses trois albums présente de nombreuses variations, et il est impossible de reprocher au Stooges d’être trop homogène. Toutefois, le point commun entre ces 23 morceaux est l’aspect très brut et surtout très animal qu’ils dégagent. Pour cette raison, les premières écoutes de Stooges sont souvent délicates. C’est là le paradoxe qui a toujours accompagné le groupe. Sa musique est loin d’être évidente, et pourtant, les Stooges font indéniablement partie de la culture Pop, au même titre que les Ramones. Précisons à ce titre que Joey Ramone était devenu un fan incontesté des Stooges après qu’il les ait vu à Midsummer Rock.La difficulté que l’on peut avoir à pénétrer l’univers des Stooges n’est pas le résultat d’une quelconque prétention à produire des morceaux expérimentaux pour le simple plaisir d’éloigner l’auditeur. Les Stooges avaient simplement l’ambition de changer la musique. Et ils l’ont fait. Après tout, rien de plus normal que d’entamer un processus créatif avec la volonté de marquer son domaine. Je ne comprends pas l’intérêt que l’on peut trouver à tous ces groupes qui, sans prétention, se contentent de compiler les sonorités de leurs idoles. Faites de l’art pour changer le monde, ou n’en faites pas. Réussissez, échouez, mais donnez vous les moyens de parvenir à vos fins, en gardant toujours la tête froide. Voilà quel est l’enseignement que l’on peut tirer de toute l’existence des Stooges. Pour cela, le groupe sera à jamais inscrit parmi les plus grands.

Enfin, un dernier paradoxe vient de ce que les Stooges vont parvenir tant bien que mal à s’imposer dans l’histoire de la musique alors que le groupe apparaît en plein durant la révolution Flower Power. Le message (au moins celui formel) des Stooges est en parfaite opposition avec la mouvance Twee qui anime alors la scène. Cela explique probablement en partie pourquoi les critiques sont si mauvaises lorsque le premier album des Stooges voit enfin le jour. Mais le groupe fascine d’ores et déjà, et il sera très vite pris en symbole de l’opposition à un mouvement tout-dans-le-sentiment.

 

Le premier album du groupe (à mon sens le meilleur) est sobrement nommé The Stooges (1969). On est pourtant loin de cette sobriété apparente que le premier titre, “1969“, laisse présager. Produit par John Cale (bassiste des Velvet Underground), cet opus a tout du premier album irréprochable. Il touche souvent à des mélodies très Pop tout en ne délaissant pas l’aspect expérimental que Cale ne pouvait qu’amener. Iggy Pop s’introduit sereinement avant que la guitare de Ron Asheton ne vienne, d’un son assez clair, nous éclairer sur la volonté du groupe. Le deuxième morceau est “I Wanna Be Your Dog“, un Hit absolu de la carrière des Stooges. Tout ce qui fait le génie du groupe est ici réuni en une seule pièce. Un “We Will Fall” psychédélique plus loin (notons que le groupe se faisait initialement appeler Psychedelic Stooges), on retrouve un autre coup d’éclat, “No Fun“. Peut-être est-ce le meilleur morceau de cette immense discographie. Quoi qu’il en soit, on y comprend pourquoi The Stooges est souvent étiqueté Proto-Punk : tous les codes du genre s’y trouvent sans que les Stooges ne semblent même en saisir la portée, à l’inverse des MC5 qui semblaient en être bien plus conscient. La quasi-retenue que l’on y entend en fait un morceau frustrant qui ne fait jamais que créer l’envie d’une écoute répétée dans le but d’en attraper finalement un peu de substance. Premier titre du B-Side (à l’époque où ça voulait encore dire quelque chose, ce morceau se suffit à lui même. Sautons ensuite directement à “Not Right“, titre plus Punk que les autres, bien qu’il conserve la clarté sonore que les morceaux de Fun House n’auront plus.
Down On The Street” est le premier morceau de Fun House, album paru en 1970 et produit par Don Gallucci (qui a également travaillé pour The Kingsmen et continuera longtemps après avec Iggy). Il demeurera l’hymne des Stooges, et probablement le titre le plus connu jamais composé par Iggy Pop. “TV Eye” fait ensuite apparaître la rage que cet opus contient. On y touche de loin ce que devait être les lives des Stooges, vantés par tous ceux qui y ont assisté comme étant les meilleurs jamais performés (ne manquez pas, en autre, cette vidéo de “Sixteen“). Cet album est incontestablement marqué par “Dirt“, titre de plus de 7 minutes qui fait apparaître le contraste apparent entre un rythme très lent et un son de guitare saturé qui prend aux tripes. De plus, on retrouve un son Punk alors que le morceau laisse place à un long solo de guitare, deux philosophies de la musique souvent antinomiques. “1970” est quant à lui le titre qui malmène le plus le son de la guitare. Les bases du shoegaze sont posées, celles du Punk s’y bâtissent, un grand titre. Vient ensuite “Fun House“, le titre self-titled. D’entrée, un cuivre vient marquer la différence avec le reste de l’opus. La suite est un joyeux bordel sonore dans lequel Iggy Pop semble s’épanouir tel un poisson dans l’eau. Que dire de “LA Blues” qui pousse le vice encore plus loin. Sur fond de Free jazz expérimental, les Stooges venaient là de crier au monde entier leur volonté de tuer toutes les barrières musicales.

 

Raw Power (1973) est le troisième et dernier album des Stooges. Cet opus n’eut jamais vu le jour sans l’aide de David Bowie qui permit aux Stooges d’obtenir un record deal avec Columbia. Dès “Search And Destroy“, on comprend que les Stooges opèrent un retour au son de leur premier opus. Cet album pose également de nouvelles bases, dont celles de la Power Pop. Nous sommes, une fois encore, mis face à face avec un nouveau paradoxe. Raw Power est un album très noir et nerveux, alors qu’il contient certaines des mélodies les plus Pop jamais composées par le groupe. Quant à “Gimme Danger“, il aura incontestablement donné des idées à Johnny Thunders. Et puis, l’album est nécessairement marqué par “Penetration” qui restera comme l’un des titres phares de la carrière des Stooges. “Raw Power” vient quant à lui poser l’étiquette parfaite sur ce qu’est le son du groupe, avant qu’il ne fasse un nouvel usage de la guitare acoustique sur “I Need Somebody“. “Death Trip” est le petit dernier. Symptomatique, on y retrouve un son plus proche de Fun House qui, parce qu’il traduisait aussi un mode de vie, aura finalement eu raison des Stooges.

Je passe ici volontairement sur toutes les controverses qui ont animé l’existence du groupe. Certaines sont assurément fameuses, mais là n’est pas l’essentiel, et je ne voudrais surtout pas leur donner l’importance qu’elles n’ont pas. Si les Stooges ont porté avec eux la mouvance Proto Punk, c’est avant tout par le biais de l’état d’esprit que le groupe a toujours su conserver. Ces mecs là savaient où ils allaient. Les Stooges, c’est un style de vie qui en aura inspiré beaucoup. Comment ne pas y voir la cause de tous les excès qui suivront dans les années à venir. Combien de groupes prendront les Stooges comme référence ultime, et s’y bruleront les ailes. Combien de ces groupes, formés à la sortie d’un concert des Stooges, abuseront d’un état d’esprit jusqu’au point de le faire disparaître. N’est pas le génie idiot qui veut. Peut-être que les Stooges, créateur incontestable du Punk Rock, sont également la cause de la disparition du genre. Heureusement, un style musical ne meurt véritablement jamais, et si je suis forcé de constater que le Punk se porte plutôt bien en 2014, nous sommes toujours bien loin de ses années de grandeur. Les Stooges ont donc porté un coup fatal à ce qu’il avait créé. Mais jamais je ne saurai reprocher à un artiste son jusqu’au-boutisme. Et les Stooges en sont une définition.

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