Réhabiliter Jimi Hendrix

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Le titre de cet article est certes curieux. Jimi Hendrix est régulièrement cité comme étant le meilleur guitariste de l’histoire. Tout le monde s’accorde à dire que sa musique est essentielle au rock’n’roll et qu’il fait assurément partie des êtres humains les plus respectables de tous les temps. Pourtant, le fait est qu’il n’est pas “hype” de parler de Jimi Hendrix, de poster sa musique sur les réseaux sociaux, de se dire influencé par lui ou d’écrire des articles sur son compte. Il faut donc réhabiliter son cool !
Voyez plutôt ce qu’en pense la presse cool : Gonzaï célèbre dans un articleune façon de dire qu’on emmerde Jimi Hendrix et que plus personne n’écoute un groupe pourri comme les Who“. Pitchfork ne liste que 24 résultats pour Jimi Hendrix et Magic fait mieux encore avec seulement 4 résultats seulement depuis le 1er janvier 2008. Pour leur défense, la revue traite de pop – moderne -, mais qu’en bien même. Cela n’empêche pas ces différents magazines de glisser quelques mots sympathiques à l’endroit de Jimi Hendrix, mais force est de constater que l’on est loin du cool suscité par les Stooges, par les Velvet ou par Sonic Youth – autant de groupes qui doivent par ailleurs être vénérés.
Il faut en réalité aller taper dans les magazines “grand public du rock” pour trouver quelques propos dithyrambiques à son encontre, je pense aux Inrocks ou a Rock & Folk. Tout cela n’aidera pas à le réhabiliter dans les milieux plus underground. Et que ce soit immédiatement dit, il ne s’agit pas d’imposer Jimi Hendrix dans toutes les rédactions du monde, mais 1/ de se questionner sur cette absence de cool qui l’entoure et 2/ rappeler quelques faits en la matière.
Il fut un temps où il était cool de se revendiquer de Jimi Hendrix, la preuve, Miles Davis l’avait fait ! Et si Jimi n’est plus le symbole indépendant qu’il devrait être, quelques raisons semblent pouvoir l’expliquer. Peut-être est-ce une proximité fantasmée avec la scène dad rock – geek – de Led Zeppelin qui en est la cause. Peut-être est-ce son éloignement historique, peu de groupes sixties sont finalement cités comme étant des références absolues si ce n’est les Beatles. Peut-être que sa musique est trop peu connue, la majorité du public s’arrêtant à “Voodoo Child” et “Foxy Lady“. Peut-être, enfin, est-ce ses influences blues qui tendent à le disqualifier, qui écoute encore du blues régulièrement à part quelques irréductibles dont votre serviteur fait partie.
En réalité, sans Jimi Hendrix pas de Stooges, sans les Stooges pas de punk, et sans le punk pas de rock’n’roll moderne tel que nous le connaissons. Et ce n’est pas tout ! Oubliez également Tame Impala, King Gizzard & The Lizard Wizard et la scène psychédélique actuelle. Ouch. Le fait est que Jimi Hendrix est l’un des derniers explorateurs généralistes, si ce n’est le dernier à avoir transcendé plusieurs genres musicaux de la sorte.
Il était bien évidemment un punk avant l’heure, j’en veux pour preuve l’histoire qui se cache derrière la pochette d’Electric Ladyland (1968). Après avoir demandé que soit utilisée une photo de Linda Eastman, son label américain avait allègrement décidé de l’ignorer, se servant à la place d’une image de Karl Ferris. Le label européen, Track Records, avait quant à lui fait appel à David Montgomery qui avait réalisé cette photo culte de 19 femmes nues (8 sur la version réduite). Hendrix ne tardera pas à exprimer son mécontentement : « Folks in Britain are kicking against the cover. Man, I don’t blame them. I wouldn’t have put this picture on the sleeve myself, but it wasn’t my decision. It’s mostly all bulls » (en français : « les gars en Angleterre se plaignent de la pochette. Je ne peux pas leur en vouloir. Je n’aurais pas choisi cette image moi-même, mais la décision ne m’appartenait pas. C’est des conneries »). Certains revendeurs refuseront de distribuer cet album et d’autres retourneront la pochette.
Jimi Hendrix, c’était aussi un maitre absolu en matière de musique psychédélique (“Third Stone From The Sun“), de blues rock (“Voodoo Chid“, “Red House” et “South Saturn Delta“) et même de pop (“3 Little Bears“)… Plus que ça, la musique de Jimi Hendrix est d’incroyable brutalité, pourtant, plusieurs morceaux font partie des mieux produits de l’histoire, je pense notamment à la version studio de “Crosstown Trafic” qui est à mon sens inégalée !
Je ne vais pas refaire la discographie de Jimi Hendrix, mais force est de reconnaître que tous les morceaux qu’il a un jour produits méritent une place dans vos bibliothèques. Ce mec-là a touché de nombreux styles musicaux et il y a toujours apporté quelque chose jamais tomber dans le too much.
En réalité, Jimi Hendrix n’est pas que la simple traduction d’un mouvement, il est un point de départ. Il y a quelque temps déjà, j’écrivais que les Clash n’avaient jamais fait que traduire la révolte punk de la jeunesse anglaise, et que plus généralement, que le rock’n’roll était l’expression d’un état d’esprit de jeunesse. Je ne renie en rien ces quelques propos, mais j’y apporte la nuance des plus grands : sans Jimi Hendrix, le rock’n’roll n’aurait pas pris le même tournant, un autre ne serait pas venu le remplacer. Le même constat vaut pour les Beatles et quelques autres, dont Pavement qui a donné naissance au slackerisme. Sans eux, la scène serait aujourd’hui bien différente, et qui dit aimer ce qui paraît en 2010′ doit donc reconnaître à ces pères fondateurs d’avoir façonné son esprit.
C’est trop peu fait. Il faut dire que nous avons trop l’habitude des “artistes traduction”. C’est la thèse développée par Matt Ridley dans son Evolution of Everything. La démonstration est implacable : nous revisitons constamment l’histoire à travers les grands hommes, comme s’ils avaient une importance providentielle. En réalité, le jazz serait apparu sans le premier jazzman, le rock’n’roll serait ce qu’il est sans Chuck Berry et l’Amérique n’en aurait été pas moins découverte sans un navire hasardeux. Tout cela est vrai et à chaque règle ses exceptions, dont Jimi Hendrix et une poignée d’artistes. Et si ça ne mérite pas le cool des milieux qui se disent cool, je préfère être ringard avec mon Jimi comme référence qu’être hype avec mes albums de My Bloody Valentine sous le bras.

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