Anachronique : Peter Laughner (Proto Pop)

Les amis, c’est le cœur lourd que je reprends la plume. Il est toujours difficile de le faire dans de telles circonstances. Et pourtant, il le faut. C’est l’attitude que j’avais adopté plus tôt cette année, lors de la tuerie de Charlie Hebdo. C’est celle que j’embrasse à nouveau. Je transmets mes profondes et sincères condoléances à l’ensemble des personnes touchées par ce massacre.

Je suis sans mots.

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Peter Laughner. Je vous promettais un article anachronique plus “obscure” pour cette semaine. Le voilà. Et puis, le choix de cet artiste n’est pas complètement hasardeux. Peter Laughner avait le rire inscrit dans son nom (“tu apprendras encore à rire comme les immortels“), le panache des Dieux. Gardons-le en nous. 
De son vivant, Peter Laughner n’a jamais sorti un album complet sous son propre nom. Il faudra attendre 1993 pour que Tim/Kerr Records fasse paraître une anthologie de l’artiste, Take the Guitar Player for a Ride. Cette dernière regroupe certaines de ses créations pour Rocket from the Tombs, d’autres faites pour Friction ou Pere Ubu, d’autres composées sous son nom propre. Peter Laughner été un homme aux multiples projets et multiples connexions, notamment grand ami de Richard Hell et de Lester Bangs. Je voudrai consacrer ici une partie de cet article à sa relation avec ce dernier qui, je crois, dit beaucoup de ce qu’ils étaient. 
Lester lui consacrera un écrit à l’occasion de sa mort, “Peter Laugner Is Dead“. Il avait 24 ans à peine. Lester le décrivait comme “a guy in the bohemian scene in Paris around 1960, who followed all the jazz musicians, poets, and hipsters around, took all the right drugs, did and said all the right things“. Un autre clochard céleste, en somme. Leur relation était ainsi auto-destructive. Lester disait que Peter veillait sur lui, “Peter was looking down on me then but the sky was crying warm blood, and it may have been only that pounding in my veins at the ecstasy of being alive“. Pourtant, Lester demandera que l’on continue à se bruler les ailes, à vivre d’extrêmes et de rock’n’roll, sans concession. “Don’t anybody try to wave good-bye“, nous exhorte-t-il. C’était la philosophie de l’époque, celle des plus grands. 
Peter Laughner était de ces anges hyper sensibles. C’est ce que l’on retrouve sur sa critique de Coney Island Baby, “This album made me so morose and depressed that when I got the advance copy I stayed drunk for three days. I didn’t go to work. I had a horrible physical fight with my wife over a stupid bottle of 10 mg Valiums.” Cela se retrouve dans chacune de ses compositions.

A l’évidence, beaucoup a déjà été dit sur Peter Laughner. Mais ne nous cachons pas qu’il demeure un artiste trop peu connu. Et puis, les extrémistes de l’art nous manquent. C’est pour cela qu’il faudra encore et toujours écrire sur Peter.

Baudelaire” est assurément un grand titre de sa discographie. Si la Beat Generation n’est pas loin (écoutez Kerouac se réciter, les ressemblances sont frappantes), c’est que Peter Laughner avait surtout une vocation de poète, comme beaucoup des critiques de Creem Magazine. Le texte est disponible à ce lien (ici). Ce titre est l’un des moins lo-fi de tout l’album. Cela renforce peut être sa beauté. 
Rock It Down“, qui n’aura pas manqué d’influencer Tom Waits, est un titre plus blue-grass, quasi country. Et puis, dans son hommage à la magnifique poète “Sylvia Plath“, Peter Laughner se tourne vers une sorte de folk très brute. On y retrouve son admiration pour Robert Johnson. Mais il faut en réalité attendre “In the Bar” pour retrouver l’essence de Peter. Le titre raconte une épopée, l’histoire de deux protagonistes qui dansent ensemble sur le précipice de la mort. Et puis, sa douce guitare acoustique revient avec “Cinderella Backstreet“. 
Only Love Can Break Your Heart” est tout aussi lyrique. C’est romantique et romanesque que Peter se présente à nous avec cette reprise de Neil Young. Il est immédiatement suivi par “Lullaby” où la guitare nous chante son désespoir. C’est finalement à “Amphetamine” d’emboiter le pas. Introduit par un puissant “Take the guitar player for a ride; Never in his life been satisfied“, Peter nous gratifie de l’une de ses toutes meilleures créations. On y ressent, une fois encore, l’influence des poètes américains des années ’50/’60; “and she went up on the roof just to read the stars“.
Life Stinks” a pour avantage d’être plutôt straightforwardLui qui disait “If you don’t have the rhythm, you don’t have anything” a au moins le courage de s’imposer sa propre maxime. Ce titre punk est le plus violent de tout l’album. C’est l’un des meilleurs. Peter jongle entre folk et rock’n’roll tout au long de ses créations pour finalement en arriver à ces lignes d’une rare animosité. Don’t Take Your Love Away“, dans le genre chanson d’amour, viendra attendrir les cœurs peinés. Ce titre est intercalé avec deux titres punk tant “Calvary Crossjustifie une nouvelle fois l’étiquette que l’on pourrait donner à Peter. Le titre est super raw, à l’image de l’ensemble des créations de Peter Laughner. 
Ain’t It Fun” était un titre écrit par Peter Laughner et Gene O’Connor. Il paraîtra sur un 33 tours du groupe de O’Connor, the Dead Boys, dont nous avons déjà parlé avec Frank Secich. “Dear Richard“, dans un style pre-CBGB. “Baby’s on Fire“, une reprise de Brian Eno, va chercher des cuivres et une musique plus eightnies, cette fois-ci pre-New Wave. Cet LP se conclut enfin sur “Me & the Devil Blues“, le titre le plus from Mississippi de tous. Reprise de Robert Jonhson, il nous oblige à penser à allumer le feu et à se contenter du lyrisme de Truman Capote.
Au final, on retrouve toujours quelque chose de très noir en écoutant la musique de Peter Laughner. Surement est-ce cette même attirance pour la mort qu’avait Lester Bangs. S’il est par ailleurs très rare que les critiques produisent de la bonne musique, cette compilation prouve que quelques exceptions confirment la règle. Elle prouve également que l’on peut créer n’importe quel style de musique et s’exprimer en puissance. Que ce soit à travers le lyrisme de ses morceaux pop, de son punk hargneux ou des arpèges de sa folk, Peter Laughner tachait toujours de conserver l’aspect très brut de ses créations, ce qui avait pour effet de renforcer leur emprise. 
Il avait, disait-il, l’ambition de révolutionner le rock’n’roll. C’est, une fois encore, ce qui manque à la scène d’aujourd’hui. Cette extrémisme artistique nous manque tant. Tachons de chérir ceux qui en sont encore habités. Certains sont morts pour cela, à l’image de Peter, qui “at least in part he died because he wanted to be Lou Reed“.

(mp3) Peter Laughner – Beaudelaire
(mp3) Peter Laughner – Amphetamine

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