Chastity, c’est le projet solo de Brandon Williams, un artiste Captured Tracks qui fait trop peu parler de lui, un peu comme Perfect Pussy (aussi sur Captured). Ou peut-être est-ce parce que je les trouve si étincellants que je voudrai qu’il suscite un engouement plus affirmé.

Le groupe a fait paraître un premier EP l’an dernier. Il était excellentissime, brutal, bagareur, violent. Je n’avais d’autres choix que d’intituler mon article : “le scud!”. “Chains“, le single, était le titre le plus puissant de l’année 2017. Il entrera à ce titre dans l’anthologie de la décennie. J’attendais donc beaucoup du premier LP du groupe, sans trop savoir lorsqu’il aller tomber. Laissez-moi vous dire ici qu’il vient de tomber de très haut, très fort, et qu’il a ainsi causé un énorme impact sur l’année 2018. Intitulé Death Lust – convoitise de la mort, cet album a tout de la parfaite illustration de ce qu’est le syndrome du précipice. Il met en musique les pulsions de mort qui habitent nos sociétés modernes, le double vertige.

A vrai dire, la musique de Chastity est affaire de pulsions. Et une pulsion s’oppose toujours à une autre, c’est là sa caractéristique première. La première pulsion est celle de violence, de noirceur et de brutalité. Idles sait faire cela, lui aussi. Mais s’ajoute une seconde pulsion qui nous force à fixer une lumière trop blanche. On veut crier les morceaux de cet album en plein jour, se bruler la rétine, transpirer jusqu’au malaise. Cet album se rapproche de ce que beaucoup de groupes poursuivent sans jamais parvenir à atteindre : l’absoluité. Avec Chastity, rien n’est jamais superflu, il y a comme un néant de frioritures, une sensation qui, couplée à la noirceur de sa musique, nous fait poser un pied dans la tombe. Et dans le même temps, on ne s’est jamais senti si vivant à l’écoute d’un autre album de 2018.


Tout débute avec “Children” qui, déjà, évoque la plupart des thèmes de cet album : la mort, la liberté, l’amour. Passez votre chemin si ce titre ne convainc pas, il y a surement quelque chose en vous qui rejette ce qui est noisy et la death lust. “Choke“, qui débute sur des bases de metal, fait partie de ces titres brumeux de l’album qui rajoute en sensation de mal-être. Et “Scary” de compléter le trio introductif avec les premiers accords de pop de cet LP. On visionne un grand engard situé dans l’Ontario – d’où le groupe est issu, durant les nineties, avec des jeans déchirés et des cheveux teints en vert. Chastity prend ce qu’il faut au grunge.


Mais c’est avec “Negative With Reason To Be” que Death Lust prend une autre tournure. Non seulement la voix de Brandon Williams y est excellente, mais ce que réserve ce titre à mi-parcours est une masterpiece absolue en matière de deathcore. Et “Heaven Hell Anywhere Else” de venir clore la première face de cet A sur des accords de quasi breeze pop. On touche souvent les extrêmes avec Chastity, toujours avec cette même cohérence. Ce titre a tout du single qui propulse un groupe, j’espère qu’il sera parfaitement utilisé par son label.


La voix est très clair sur “Suffer” ce qui rajoute probablement à l’intensité de ce morceau. Ce titre d’amour est parfaitement assumé par Chastity. La guitare y fait beaucoup. Aucun des morceaux de cet album n’a le même son, c’est là l’excellente idée de Chastity. On frôle encore la scène grunge avec ce qu’elle avait de plus lumineux.

Bon, comment dire. “Chains“, que j’ai déjà encensé plusieurs fois et classé parmi les 20 meilleurs morceaux de 2017, conserve toute son explosivité. Et si ce titre était immortel ? Et si, de façon assez caucasse, Chastity venait de contrer ses Death Lust avec un morceau qui ne peut subir la foudre ? Le fait est qu’il se suffit à faire de Chastity l’un des groupes les plus impétieux de ces dernières années. 

Difficile d’enchainer, me direz-vous. “Anoxia” veut donc en rajouter une couche. L’anoxie, c’est une souffrance cellulaire induite par le manque de dioxygène présent dans le sang. Le tableau est ainsi complété, toute la panoplie du parfois hypocondriaque est bien là. Et avec “Come“, Chastity vient nous susurer quelques mots doux, une fois encore. Que ces titres sont bien foutus. Difficile à croire qu’il ne s’agisse que du projet d’un seul album, aucun intru’ n’est négligé au profit des autres, les morceaux progressent tous au fil des minutes et la variété dans la voix et le son proposé semble sans fin. “Innocence” ne fait que parfaire le tout. Chastity resuscite ici la scène du début 2000.


Au final, Death Lust ne souffre d’aucun reproche. Le “double vertige” qui titre cet article est présent à plusieurs niveaux. Il est celui de la voix claire qui s’oppose au son noisy de cet album, créant une dualité peu connue. Il est celui des accords de grunge qui complètent les passages de presque breeze pop, le noir contre le bleu. Il est celui de la puissance procurée par les nombreuses cassures qui viennent contraster le soft power d’un artiste qui n’en rajoute jamais. Il est celui des pulsions de mort dansent avec les pulsions de vie. Chastity nous rappelle notre mortalité de la plus belle des manières.


Tracklist : Death Lust (LP, Captured Tracks, 2018)
1. Children
2. Choke
3. Scary
4. Negative With Reason To Be
5. Heaven Hell Anywhere Else
6. Suffer
7. Chains
8. Anoxia
9. Come
10. Innocence

Liens :
Interview avec Captured Tracks
Article sur le premier EP du groupe

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