Anachronique : Slint (Post Hardcore)

 

Slint, ce n’étaient que des enfants. Slint est un groupe formé à Louisville en 1987 par une bande d’amis alors adolescents. Le groupe n’a jamais fait paraître que deux albums, Tweez (1989) et Spiderland (1991) qui vient tout juste d’être réédité sur Touch and Go Records. On peut aujourd’hui coller beaucoup de qualificatifs à la musique de Slint : Post Hardcore, Math Rock, Post Punk, Post Rock et j’en passe. En réalité, à la sortie de ses deux opus, peu de souciait de savoir ce que Slint pouvait bien représenter. Le groupe n’attirait que peu de foules, et sa popularité était plus proche de néant qu’autre chose. Mais voilà, les 20 années passées depuis la parution du dernier album de Slint ont fait de lui un groupe culte. Il jouait la semaine dernière à Louisville, l’occasion parfaite pour évoquer cette formation majeur dans l’histoire de la musique expérimentale.
Les deux opus de Slint ne sont pas des instantanés. Il faut du temps pour se les approprier, le temps que l’oreille se fasse à cette agressivité placée sur courant alternatif. Son deuxième opus, Spiderland (1991), est à ce jour celui qui est le plus culte des deux. Pourtant, Tweez ne démérite pas. Place à la critique track-by-track ? C’est parti :Tweez (1989). “Ron” est le premier titre de l’album. Slint rentre dans le vif du sujet sans se soucier de prendre la moindre précaution. Du Punk, du vrai. Le groupe semble surpris autant que nous, assénant un “oh, hen, alright“, comme pour nous dire : oh, vous voulez un peu de musique ? La voilà. Produit par Steve Albini, producteur des Pixies, Nirvana et j’en passe, cet album ne ressemble à rien que nous n’ayons jamais écouté.

Après l’introduction poignante de “Ron” arrive un “Nan Ding” révélateur de ce qu’est cet album : la basse prend le lead avec de nombreux changements de rythmes, Brian McMahan parle plus qu’il ne chante et le son des guitares est agressif. “Carol” est un brin plus impressionnant. L’ambiance post apocalyptique que dégage Slint à de quoi effrayer. On écoute ce titre lorsque l’envie d’agressivité se fait entendre, en se rapprochant de l’univers de Dinosaur Jr. Vient ensuite “Kent” et ses creepy sounds, “Kent” et ses bruitages, encore un titre surprenant. Slint fait de sa musique une texture capable de toutes les variations, de tous les excès, et c’est l’oreille attentive que l’on procède à l’écoute de ce titre comme du reste de l’album. La deuxième partie du titre est pour le moins prenante. Brian nous ordonne “don’t worry about me“, et ensuite, la guitare fait son travail de sape à la perfection. Et puis, c’est au tour de “Charlotte” de venir donner le LA, titre  de post rock expérimental qui nous rappelle les égarements de Thurston Moore. C’est sans compter sur la reprise soudaine de la 4eme minute, façon Fugazi. Vient ensuite “Darlene“, un titre parlé qui tranche avec la guitare assourdissante des deux titres qui l’entoure. “Pat“, l’avant-dernier morceau, détruit tous les codes pour former plus de trois minutes absolument novatrices, le genre de titre dont on se souvient sans peine. Et puis, “Rhoda” conclut l’album sur une pièce encore plus expérimentale que les autres, qui, une dernière fois, fait varier son instru’ pour faire sautiller nos âmes affolées.

Cet opus dégage une ambiance très pesante, parfois à la Dinosaur, parfois à la Sonic Youth, d’autres fois à la Fugazi, mais jamais sans que la guitare n’accélère trop, jamais sans que Brian McMahan n’ait trop besoin de pousser sa voix. C’est étonnamment puissant et bien pensé. Il est à noter que l’appellation des titres est tirée du nom des parents des membres de Slint, à l’exception de “Rhoda” qui était le nom du chien du batteur du groupe, Britt Walford. Originalement paru sur Jennifer Hartman Records, l’album sera réédité sur Touch and Go Records en 1993. Cet album mériterait bien des palmes d’or. Still in Rock décerne la sienne.Spiderland (1991), ou la dynamique des silences. C’est marrant comme les trois premières notes d’un album peuvent lui donner son identité sonore. Enregistré en 1990, Spiderland arrive après que le groupe ait interrompu sa tournée pour Tweez pour cause de… rentrée au College. Enregistré en seulement 4 jours, de nombreuses rumeurs persistent encore sur ce qui se serait passé en studio durant cette période : hôpital psychiatrique pour un membre de Slint, bagarres, dépressions… ?!

Breadcrumb Trail” semble être fait d’un son moins noir que celui de Tweez. Pourtant, Slint n’a pas perdu en intensité. “Nosferatu Man” intègre énormément de Math Rock, les sonorités éparses finissent par y former un tout d’une incroyable complexité. Ce morceau est assurément l’un des tout meilleurs de la discographie de Slint. Son final est une jubilation de haut vol. “Don, Aman” est l’un des titres les plus posé de l’histoire du groupe. Aucune batterie n’est présente, Slint semble aux antipodes de Tweez, un leurs. “Washer” est le seul titre chanté de tous les albums de Slint. On y trouve une rare sensibilité. La musique de ce morceau colle parfaitement à la pochette de l’album prise par Will Oldham dans le lac d’une carrière abandonnée. Slint y semble innocent autant qu’inquiétant. On a l’impression que les non-dits occupent une place plus importante que tout le reste. Ecoutez bien la montée en puissance qui se forme à la 7eme minute : avez-vous déjà entendu une musique plus poignante ? “For Dinner…“, dans la même veine que “Don, Aman“, laisse place à une musique reposante où la guitare fait superbement le boulot. “Good Morning, Captain” est le dernier titre du groupe, mise à part leur Untitled Slint EP (1994) qui comprendra des chutes de Tweez. Certaines versions CD de Spiderland comprendront un message disant : “this recording is meant to be listened to on vinyl“. Tout est là.

Slint porte superbement l’étiquette de Post Hardcore. On croirait entendre un groupe de War Punk fatigué par des années d’exercice. Pourtant, je le rappelle encore, le groupe a tout enregistré lorsque ses membres n’étaient qu’adolescents. Un documentaire qui vient de paraître sur l’histoire du groupe, intitulé Breadcrumb Trail, explique l’étonnement général lorsque le Monde découvrait que cette musique émanait “d’enfants”. La maturité de la musique de Slint pourrait effectivement laisser penser l’inverse tant les ambiances noirâtres de ces deux opus n’ont que peu d’égaux. Pour cela, probablement, Slint a suscité le respect des plus grands noms. Lou Barlow, de Dinosaur Jr., déclarera que cet album fluctue “du calme à la rage sans sonner comme du grunge ou du rock indé. Il sonnait davantage comme un nouveau genre de musique“. Quant à Bob Nastanovich (Silver Jews et Pavement), il n’hésitera pas à affirmer qu’il s’agit de l’un de ses albums préférés. Bien d’autres artistes légendaires déclareront leur amour à Spiderland, Tweez, et Slint. Aujourd’hui, j’espère que vous lui donnerez le vôtre.

(mp3) Slint – Pat (1989)

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