Célébrons la mort des labels de musique

Crédit : Raw Journey (sans le logo au milieu)


Le label est un prédateur qui ne s’ignore pas

À quoi sert encore un label de musique ? Le sujet, j’en suis sur, a déjà été débattu des dizaines de fois, mais puisque la numérisation des marchandises (mot volontaire) n’en finit pas de s’accroitre (voir ici et ici pour quelques études dédiées), le sujet doit être étudié à nouveau tous les deux ou trois ans.

Un label au sens des années 50 à 2000 ne sert plus à rien. Le label, c’était celui qui faisait le tour de passe-passe entre l’artiste et les intermédiaires. C’était la plateforme sans laquelle l’artiste ne pouvait pas atteindre son public. Tout cela a bien changé. Internet permet une agrégation sans précédent dans l’histoire des échanges économiques et culturels (si tant est qu’il faille encore les distinguer), le label n’est plus au centre des transactions, il n’est plus un intermédiaire nécessaire ni suffisant. La nécessité d’un label est donc morte. À la place, les artistes peuvent se tourner vers une plateforme qui, centralisée, joue le rôle de passeur. Les autres maillons de la chaine s’organisent autour du nombre d’écoutes, ou d’abonnés, ou je ne sais quelle métrique ils veulent utiliser.

Les pleurnicheuses semblent pourtant ne pas avoir renoncé à critiquer ces plateformes dont il est dit qu’elles abusent de leur pouvoir économique au détriment des pauvres petits artistes indépendants à qui il ne reste que des clopinettes. Deux choses à ce sujet. La première, c’est mon étonnement constant face à l’oubli des méfaits d’un système passé. A l’heure où Ian Svenonius vante le communisme, des artistes indies vantent une musique sans intermédiaire, sans plateforme, sans Internet, un retour aux sources, un truc organique, un truc vrai, quoi. Ils veulent le retour des Majors, de l’Empire : qu’ils l’aient. Ils se souviendront alors des labels qui décident de tous : de la pochette (voir ce qui est arrivé à Hendrix) jusqu’à la musique (les exemples sont trop nombreux pour être cités).

Mon deuxième point tient à ce que l’on ne peut pas voir. Il tient à l’émergence. Il est toujours chose aisée que de relever le pourcentage que Spotify refile aux artistes qui sont sur sa plateforme afin de l’accuser d’exploitation capitaliste sauvage, mais l’on oublie trop souvent que ces plateformes, en offrant la possibilité d’un succès fulgurant, sont à l’origine de la création des dizaines de groupes qui, dans un monde DIY et non digital, n’auraient pas pris la peine de sortir plus d’un morceau.

L’agrégation qu’elles permettent est un formidable excitant. Si l’on ajoute à cela qu’elles permettent aux groupes de se sentir entrepreneurs plus que simples employés, elles ont assurément comme avantage de créer l’innovation là où un label l’étouffe. Je le répète ainsi, le label est a priori devenu un bon à rien. Un parasite. Il a son compte Bandcamp, son site Internet, sa page Facebook, ses vidéos Instagram, autant d’outils qui cannibalisent ceux des artistes dont il “fait la promotion” (exploite, pour de vrai). Célébrons ainsi la mort des labels de musique tels qu’on les a connus.

Le label peut jouer un rôle essentiel

La mort des labels de musique doit laisser place… aux labels de musique, 2.0 (pour un temps au moins). C’est une sorte de “Le Roi est mort, vive le Roi”. Les labels jouent (ou peuvent en effet jouer) un rôle essentiel dont l’importance semble destinée à s’accentuer, et ce, pour plusieurs raisons. Ce rôle tient à la définition même du mot label qui emprunte aux racines de la langue anglaise. Un label, c’est une “étiquette”. Si je m’en tiens à mon Robert historique de la langue française, c’est une bande de tissu depuis 1320, et une “marque distinctive” depuis la fin du 17ème.

La langue française a été la première à lui donner un sens qualitatif, en 1963. Que l’on bouffe nos poulets label rouge ou que l’on écoute un artiste du label Drag City, ont se fie à une qualité supposée. Le mot label se définit ainsi comme un “caractère ou groupe de caractères servant à identifier un ensemble de données constituant une unité dans un ensemble plus vaste” (Robert, 1995). Tout est là, je crois.

Le label de musique, c’est une marque au fer rouge qui est posée sur un artiste peu connu. Si l’on s’en tient au McKinsey Global Institute, le volume mondial de données double tous les trois ans et 90% des données mondiales ont été créées au cours des deux dernières années. C’est… beaucoup. Le monde de la musique, petit ecosystème mal huilé, n’échappe pas à cette tendance. Je m’étonne à chaque virée sur Bandcamp du nombre de groupes qui ont trouvé l’envie de publier une musique sur cette plateforme en libre accès. Je n’utilise pas Spotify, mais j’imagine qu’il en va très largement de même sur cette plateforme aussi. Le label peut donc faire émerger ce qui doit émerger, mettre un coup de projecteur sur des groupes comme Dumb, ou TH da Freak (pour parler de ce qui se fait de mieux actuellement).

Ce rôle va se renforcer parce que le stock de données va continuer à augmenter, et que l’on va être de plus en plus perdu dans la masse. La présence de deux ou trois lanternes va ainsi devenir de plus en plus utile. Et puis, les blogs de musique, à qui l’on avait prédit le brillant avenir de ravager la presse papier, disparaissent aux fils des mois. Il ne reste plus que des DJs qui sont biberonnés aux merdes de Konbini et autres faiseurs de “cool”. Si la presse devient donc inutile, les labels doivent s’en défaire et interagir directement avec leurs auditeurs. Ils peuvent le faire avec les plateformes qu’il est si chic de décrier, en réalité, parce qu’elles butent un écosystème qui mérite de disparaître.

L’avenir que je fantasme

Les plateformes n’ont pas tué les labels, au contraire, elles ont renforcé leur utilité. Cela ira croissant, jusqu’à jour où la technologie prendra le relai. Ce jour-là, l’intelligence artificielle deviendra véritablement meilleure que le label, ses suggestions seront excellentes, voire innovantes. Il en sera fini des profiteurs, des Majors, des pas-Majors, des aventures cassées par les dissensions stupides que les humains s’imposent les uns aux autres.

Que certains se rassurent, ce jour est encore loin. Lorsque je m’essaie à un service de streaming, il me propose du Real Estate suivi d’Alex Calder alors que l’un produit de la breeze pop printanière et l’autre de la pop spectrale pour soirées glaciales, deux opposés. Parce que l’IA n’a encore rien compris, les plateformes ne peuvent se passer des labels, elles devraient même les mettre davantage à l’honneur pour créer de la confiance entre l’auditeur et les artistes. Cela durera un temps. Et puis, l’IA s’améliorera et les plateformes décentralisées apparaîtront (comme celle-ci). Les artistes qui font du fric ne seront plus préférés par des algorithmes construits par quelques types seulement. Ces plateformes par le peuple et pour le peuple auront pour seule intention de créer une expérience d’écoute singulière. Les labels mourront alors, et ce sera tant mieux.

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Pour l’heure, la liste de mes labels préférés est ici… 
… et ici :

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