Ty Segall : ceci n’est PAS un album

Ceci n’est pas un album. Niet. Nada. Même pas un peu. Il est autant un album que ma grand-mère était championne de gymnastique. Ouais, c’est à peu près ça. Ty Segall est passé à côté de son sujet. Péremptoire ? Allons donc plus loin. Freedom’s Goblin nous fait nous questionner sur… la définition d’un album, précisément. Deux axes peuvent être empruntés à cet égard : dans le premier, un album est un ensemble de morceaux ainsi regroupés sous une appellation commune. Dans le second, un album est un ensemble de titres ayant une identité commune, étant entendu que le simple fait qu’il émane d’un même artiste ne suffit pas à caractériser cette identité.
Je serais bien curieux d’entendre une défense de cette première définition. Et pour cause, il me semble que la deuxième est plus proche de la réalité des 50 dernières années, ou plutôt, de ce qu’elle devrait être. C’est d’ailleurs pour cela que les compilations ne sont généralement pas qualifiées d’albums. C’est pour cela, aussi, que lorsque l’on regroupe des singles, on ne peut véritablement prétendre à publier un album.
Ce qui est étonnant, au-delà notre penchant naturel pour l’autre ou l’autre des deux définitions, c’est que Ty himself semble être du second avis. Ainsi avait-il fait paraître ses Singles 2007-2010 en 2011. Freedom’s Goblin y ressemble, non pas dans le style – il y a là beaucoup à dire et à féliciter – mais dans l’intention, semble-t-il. Les titres s’enchaînent sans identité commune, les objectifs diffèrent, la façon dont ils sont délivrés diffère, la production diffère, le mastering diffère, le style diffère, la chaleur diffère… Alors, si l’on doit juger Freedom’s Goblin en tant qu’album, il est nécessairement raté, du moins l’est-il si on le compare au reste de la discographie de Ty Segall. Et cela, une fois encore, n’a rien à voir avec le style expérimental de plusieurs titres de Freedom’s Goblin. Ty Segall (2017) parvenait à expérimenter bien plus sans que l’on puisse lui enlever l’étiquette… d’album.
Prenons quelques exemples. “Despoiler Of Cadaver“, outre le fait d’être parfaitement raté – les fans de funk vont apprécier la caricature du truc… – est opposé à l’intention de “My Lady’s On Fire“. Le premier veut communiquer avec le plus grand nombre – le funk, la danse – tandis que le second vise la grande introspection que permet la folk. “Meaning” est super noisy tandis que “Cry Cry Cry” singe les Bealtes. Dire que l’un des leitmotiv de la scène noisy des années ’90 était justement de faire oublier le sixties rabâché. “She” hésite entre punk UK et piano-bar mal inspiré par Black Sabbath, tandis que “I’m Free” semble être le hit d’un type qui s’est échappé d’un van en partance pour Woodstock. Ils se détestent. Tout cela ne veut rien dire, sauf à n’écouter le message qu’en isolement du reste.
Oh, et en parlant de ne rien vouloir dire, que s’est-il passé avec les paroles ? On frise la catastrophe. Et vas-y que je répète “you can make the rain” 10 fois, et que “everyone is a winner“… en précisant que “that’s the truth“. Bref. Les textes n’ont jamais été le fort de Ty Segall, mais si l’on s’en fou à l’écoute des premiers LPs bien garage dans lesquels la voix est de toute façon inaudible, un format ultra produit comme Freedom’s Goblin – avec une voix à ce point mise en avant – mérite mieux que cette bouillie.
Revenons à nos moutons. Une fois que l’on admet en effet que Freedom’s Goblin n’est pas un album, et que l’on ne doit donc pas l’écouter comme tel, on se retrouve confronté à quelques excellents singles, probablement, certains des meilleurs jamais produits par Ty Segall. Il n’avait jamais aussi bien utilisé la batterie que sur “Rain”, et même s’il est trop produit – c’est le défaut majeur de cet album. Il conserve ici la spontanéité des premiers singles. Il n’avait jamais tenté la folk expérimentale, et “You Say All The Nice Things” le fait très bien. Il n’avait jamais été ringard, ce qu’il est incontestablement sur “The Last Waltz“. Et puis, bien entendu, on tremble de joie à l’écoute de “And, Goodnight” qui reprend Sleeper (2013). 
Freedom’s Goblin n’est donc pas un album, mais il est une excellente compilation de singles. OK. Et ? La réponse à cette dernière question dépend de ce que vous procure le format album. S’il n’est pour vous qu’un prétexte à faire émerger les bons singles, et que, d’ailleurs, vous ne réécoutez jamais un album en entier (et dans l’ordre) hormis à la première écoute, Freedom’s Goblin vous comblera de joie. Ce n’est pas mon cas. Je crois compenser le fait de ne pas être religieux, et ainsi, à défaut de rentrer dans les églises, j’aime m’imprégner de l’odeur d’un album dans son entier. Je crois au format album en dépit du mouvement général de l’histoire qui me prouve avoir tort. Ou du moins, faire partie d’une minorité. David Foster Wallace me l’a bien expliqué. Ty Segall vient de me le redire.

TracklistFreedom’s Goblin (LP?, Drag City, 2018)
1.
Fanny Dog
2.
Rain
3.
Every 1’s A Winner
4.
Despoiler Of Cadaver
5.
When Mommy Kills You
6.
My Lady’s On Fire
7.
Alta
8.
Meaning
9.
Cry Cry Cry
10.
Shoot You Up
11.
You Say All The Nice Things
12.
The Last Waltz
13.
She
14.
Prison
15.
Talkin
16.
The Main Pretender
17.
I’m Free
18.
5 Ft. Tall
19.
And, Goodnight

Liens :
Article sur son album de 2017
Lien vers TOUS les articles sur Ty Segall

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