Shannon & the Clams : l’exutoire beachrock

Shannon & the Clams fait partie des amoureux de Still in Rock. Interviewé en 2014, chroniqué de nombreuses fois, il n’échappera à personne qu’il a obtenu mes faveurs il y a plusieurs années, et que l’amour, c’est pour toujours. Son dernier album, Gone By The Dawn, était paru en 2015, et depuis, nous attendions que le surf de Shannon et ses palourdes viennent résonner à nouveau.

Le fait est que la musique de Shannon est reconnaissable entre mille, que l’on y côtoie la Belle Amérique des années 1950 – celle des doo-wop et de Betty Boop – dans un tout Shannon a toujours su coupler avec le punk bien senti de la clique de Nobunny. Rappelons en effet que Shannon a commencé avec eux, avec Hunx et compères. Mais pour son nouvel album, le groupe a décidé de se tourner vers l’univers d’un vieux film action, style Tripoli (1950), et dans le même temps, un peu de punk s’en est allé. Après tout, on ne serait légitime à rien à demander un même son que celui des années passées, et puis, c’est la direction que prend le groupe depuis quelques temps déjà… plus de pop !
Cet album a été composé comme un hommage aux victimes du Ghost Ship – cet entrepôt qui a brulé un soir de décembre 2016, faisant perdre la vie à 36 personnes (certains étaient des amis de Shannon et son clam). Il a le coeur serré, les mélodies ne viennent cacher qu’à demi mesure la douleur du groupe. Peut-être est-ce pour cette raison, d’ailleurs, que l’on retrouve un spleen encore plus présent que sur les précédents. En fait, il me semble qu’une différence majeure se profile avec les anciens LPs du groupe : alors qu’ils romançaient tous une vieille Amérique que l’on aurait aimé connaitre, avec bienveillance et irénisme, Onion est élégiaque, la mélancolie de Shannon apparaît à chaque instant, comme si les variations de sa voix s’étaient modifiées. Cela n’empêche pas le groupe de vouloir célébrer plus que s’apitoyer, mais cette sensation demeure malgré lui.

Pour la sortie de Onion, fini Hardly Art, c’est désormais Easy Eye Sound qui s’y colle. Le label correspond indéniablement à une montée en gamme pour le groupe, il accueille également les Black Keys, Lana Del Rey, Dan Auerbach et quelques autres grands noms qui ont presque tous comme point commun d’avoir été underground, un jour.
The Boy” introduit la danse, avec légèreté. Les retrouvailles avec Shannon et son clam sont toujours chaleureuses, généreuses, prodigues. “It’s Gonna Go Away“, c’est un message positif que Shannon assène sans plus tarder, comme pour se montrer à elle-même que tout ira bien. Y croit-elle ? “Backstreets” donne un premier élément de réponse : nop. Elle se dit lone away (‘solitaire’), elle dit vouloir s’isoler et le chorus renforce cette sensation d’égarement attristé. “If You Could Know” est l’un des temps forts de cet album, il faudrait être crétin pour ne pas y voir l’une des plus belles occasions de danser plus fort de l’année 2018. Le timbre de la voix de Shannon est parfaitement mis en avant, comme toujours, la production est irréprochable.
A ce stade, on comprend que cet LP est un nouveau sans faute et que jamais, Oh jamais, Shannon ne nous laissera tomber. Pas un seul titre de sa discographie mérite d’être décrié. Appelez ça ce que vous voulez, moi, je m’en tiendrai au terme de virtuose(s).
I Never Wanted Love” est le premier de la trilogie amoureuse de cet album. Shannon voulait s’en protéger, voilà une première pierre à l’édifice. Vient ensuite “Onion“, le titre éponyme, toujours un indicateur particulier de ce que l’artiste a voulu faire de son album. Shannon & the Clams y sont satiriques, burlesques, presque carnavalesque. C’est à mon sens, une fois encore, la manifestation d’un esprit rieur face à un événement difficile.
Mais le déchirement s’entend sur “Did You Love Me“, un titre à vous étriper. Et la présence renforcée du clavier – ce que l’on notait déjà en live – ne fait que rajouter à l’émotivité ambiante. “Love Strike” enchaine, lui aussi avec ses notes amoureuses. Le thème est récurrent dans cet album, surement plus que dans les précédents. 
I Leave Again” nous dit que tout ira bien, que Shannon nous fera encore danser, qu’elle sera belle et que nous aussi. C’est le groupe de “The Bog” qui revient ici. Vient alors “Tryin’“, le moment de sincérité. Notons ici la structure de cet album : il alterne, avec une constance quasi-mathématique, entre joie et maussaderie, entre fausse allégresse et apathie. N’y voyons pas le fruit du hasard. Quant à “Tell Me When You Leave“, il perpétue notre félicité.
Strange Wind“, c’est le côté weirdo du groupe qui revient à plein tube. Le Shannon qui nous fait danser de la sorte a tellement bercé les années 2010′ qu’il est une immense joie de le retrouver. Ouais, Fritz Lang n’est pas mort ! “Don’t Close Your Eyes“, c’est l’une des plus belles – la ? – démonstrations de ce que Shannon est, sans conteste, la plus grande chanteuse underground des années 2010. Personne ne peut lui contester ce titre, et je continuerai de me battre pour elle.

Le côté funny-gore – ou plutôt devrais-je psychobilly – que Shannon a toujours emprunté aux Cramps a laissé place aux éclats de la scène soul des années 50/60. En fait, cet album aurait pu sortir sur Stax. Mais ne nous y trompons pas, Shannon & the Clams a toujours pour lui ce surf qui fait qu’on aime tant trainer à ses côtés. Les crabes que l’on visualise marcher sur la plage sont là, ils ont certes envie de divas et de nous séduire plus qu’avant, mais lorsqu’une relation est si bien engagée, il est important de savoir séduire à nouveau. Ceux qui l’oublient se rappelleront bien vite ce poème de Musset ainsi conclu : “Un jour tu sentiras peut-être Le prix d’un coeur qui nous comprend, Le bien qu’on trouve à le connaître, Et ce qu’on souffre en le perdant”.  

(mp3) Shannon & the Clams – I Love Again


Tracklist :
1. The Boy
2. It’s Gonna Go Away
3. Backstreets
4. If You Could Know
5. I Never Wanted Love
6. Onion
7. Did You Love Me
8. Love Strike
9. I Leave Again
10. Tryin’
11. Tell Me When You Leave
12. Strange Wind
13. Don’t Close Your Eyes

Liens :
Interview avec Shannon
Article sur l’album Gone By The Dawn

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