Anachronique : Ween – Pure Guava (Weird Pop)

Cela fait un moment déjà que je veux
écrire cet article anachronique sur Ween. Il faut dire que le groupe est
l’une des formations pop les plus créatives que la douce terre américaine ait portée.
Son statut de quasi-inconnu sur le sol français (avouons-le) faisait donc de lui le candidat
idéal pour un des articles du lundi de Still in Rock, mais encore fallait-il trouver l’inspiration pour écrire sur un groupe capable de trop vous en donner.
Fruit du hasard, il se trouve que j’ai été amené à
beaucoup parler de Ween ces derniers temps et que la fascination l’a
toujours emporté sur l’étonnement. M’y voilà, donc. Ween est un groupe formé à New Hope (Pennsylvanie) en 1984 par deux potes d’enfance, Mickey Melchiondo et Aaron Freeman. La première K7 du groupe, The Crucial Squeegie Lip, arrive en 1987. Il fait alors dans une pop alternative à tendance psychée. Son premier album, GodWeenSatan: The Oneness, paraît en 1991, sur fond de rock abstrait et indie de l’époque. Pure Guava, qui fait l’objet de notre article, arrive en 1992 via Elektra Records.

 

Disons-le d’entrée, la discographie du groupe est tout aussi bizarre que cet album. Ween s’est fait remarqué avec 12 Golden Country Greats (1996), un album de country music bien comme il faut. Il a également fait paraître The Mollusk sur le thème coquillages et crustacés. Notons qu’il a aussi composé pour X-Files, South Park et Bob l’éponge, pour ne citer que ces trois séries. Bref, avec Ween, Yes They Can.

Tout est donc possible avec Ween. Lancez deux lectures de l’album avec quelques secondes de décalage, l’expérience n’en sera pas beaucoup changée. Ecoutez le vinyle après l’avoir rayé avec des clés de voiture, branchez votre casque qu’à moitié, jouez le sur une boombox dans une laverie, passez votre mp3 en 40kbps. Je m’en amuse, mais c’est là l’une des clés du groupe : être WEIRD. Ween, c’est un projet incompréhensible fait par des mecs qui semblent avoir gardé les drogues de 2050.Ween, c’est aussi une énorme source d’inspiration de Mac DeMarco, l’écoute de Pure Guava permet de s’en convaincre. Et puis, Ween est un groupe capable de jouer du rock alternatif, du hip-hop et des plages expérimentales dans un même morceau, parfois en moins d’une minute. Avec Ween, on ne peut donc s’attendre à aimer tous les morceaux avant de les avoir connu depuis quelques mois, mais qu’est-ce qu’il fait bon de trainer eux, une bière à la main, une fois qu’on a fait plus ample connaissance. Et cela n’implique aucune relation sexuelle.

 

Little Birdy” est le premier morceau de cet album. Le son jangle pop électronisé et mal accordé fait parfaitement l’affaire, Ween nous introduit à son univers en douceur. “Tender Situation” est déjà plus rude. Super minimal, il semble reprendre l’ambition de chuchotement de Yo La Tengo pour la transformer en quelque chose de très malsain. La deuxième moitié du morceau est analogue et électronique, une sorte de Raymond Scott qui rencontre The Space Lady.
Stallion (Pt. 3)” introduit les premiers rythmes hip-hop de cet album. Cette fois-ci, Ween dit contrôler le soleil, on part donc dans un délire à la Sun Ra, mais façon 1992. “Stallion (Pt. 3)” est sans conteste l’un des meilleurs titres de cet LP. A vrai dire, les trois premiers en font incontestablement partie. On poursuit alors avec “Big Jilm“, un morceau pre-Carrot Rope (lien) qui se résume à une seule boucle que Ween joue sans discontinue. Et puis, le première face de cet album se conclut avec “Push Th’ Little Daisies“. Plus grand hit de l’histoire du groupe, il n’en demeure pas moins une pièce semi-expérimental pour Vol au-dessus d’un nid de coucou.

 

 

On attaque la face B avec “The Goin’ Gets Tough From The Getgo“. Ween nous prend de cours avec un morceau encore plus disruptif, sans structure, sans mélodie, sans trop de fioritures si ce n’est un incroyable sens du groove à la LL Cool J. Je vous souhaite alors la bienvenue dans une rave party du début des années ’90 avec “Reggaejunkiejew“. Ça finit mal, les filles partent en courant, on les voit courir au loin avec leurs mini-jupes et Ween reste là à faire le show.
I Play It Off Legit“, c’est la chanson qu’il faudrait envoyer à tous les mecs qui se croient au top. “Ouais, t’es trop legit”, vraiment, t’assures dude. Ween se la joue troisième degré sur un morceau où il ne cesse de répéter quel point le mec est en place. Je ne précise plus que le morceau est une nouvelle réussite, cet album n’est fait que de ça.
Pumpin’ 4 The Man” va super vite, Ween est partie dans une dimension où un chanteur de country aurait inhalé trop d’hélium. Problème, l’instru semble elle aussi en avoir pris un coup. Deuxième problème ça fonctionne super bien, cet album ne veut plus rien dire, c’est génial.
Je ne sais pas qui d’entre vous n’a pas encore vue la série Twin Peaks (oh man), mais vous êtes probablement familier avec l’un des moments les plus gênants de l’histoire de la TV – aussi l’un des plus envoutants – je parle bien entendu de la chanson de James : lien. Quoi qu’il en soit, Ween délivre ici la suite la plus parfaite, un an après le chef d’oeuvre de David Lynch. Le morceau se nomme “Sarah” et la ressemblance est de plus frappante, rien n’est ici dû au hasard.

 

 

Springtheme“, c’est le moment spleen de l’album, une belle introduction à la C side de cet album. Et puis, après un peu de tendresse vient “Flies On My Dick“, morceau aurait pu être un chef d’oeuvre de la pop moderne, dans une autre réalité. Ween s’en prend à une mouche qui ne cesse de revenir sur sa dick, à moins qu’elles ne soient plusieurs. L’instru’ super hip hop couplée avec les voix sur double piste font de ce morceau un instantané de l’album, fait suffisamment rare pour être noté. Ah oui, il y a de la guitare, aussi.
Allé, pour le plaisir, la voici, je sens que vous avez envie de la jouer samedi prochain.
I Saw Gener Cryin’ In His Sleep” se la joue petite comptine. “Touch My Tooter” se la joue grosse comptine. Ween veut qu’elle touche son tooter sur fond de pop noisy.

 

 

La dernière face de cet album s’ouvre avec “Mourning Glory“. Ween continue sur la lancée de “Touch My Tooter” dans un esprit post-apocalyptique qui ne semble rien avoir à faire ici. “Loving U Thru It All” enchaine dans un esprit Dinosaur Jr. / rock alternatif nineties. “Hey Fat Boy (Asshole)” parle de meurtre, après avoir lutté contre une mouche, Ween s’en prend aux gros.
Don’t Get 2 Close (2 My Fantasy)” est le dernier moment pop de l’album. Perdu au milieu de morceaux expérimentaux, il n’en demeure pas moins une superbe pièce de pop. Combien de fois Mac DeMarco l’a-t-il écouté ? Combien de fois Freddie Mercury s’est-il retourné dans sa tombe ? “Poop Ship Destroyer” est une conclusion qui tombe à pic.

 

Avec Pure Guava, Ween réussit parfaitement son pari : montrer que les frontières n’existent pas, que les étiquettes sont vaines et que tout n’est finalement qu’une vaste blague qui n’empêche pas qu’elle soit sublimée de temps à autre. Ou plutôt Ween parvient-il à montrer qu’il sait faire tout ça, lui.
Pure Guava a été conçue pour son austérité, une véritable volonté de brusquer l’auditeur. Des albums de pop du genre ne sont plus produits. La majorité des albums de pop de 2016 n’essaient pas assez, et si la musique pop se veut accessible (parce que populaire, hein), cela n’empêche pas d’y glisser quelques expérimentations. En réalité, Pure Guava est le statement d’un groupe qui semble s’être fixé pour objectif ultime de ne pas intégrer le système, d’être rejeté par la presse et de dire fuck au grand public. En cela, Ween est un pur produit de son temps, un album ironico-ironique qui traduit l’esprit nineties qui nous manque tant. Pure Guava devrait être enseigné dans toutes les écoles de pop au monde. Soyez weird, sviouplé.
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